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sont parfaitement plats, mais ils ont une grande importance historique. Ils demeurent comme l’expression, si je puis en pareil sujet user de termes si modernes, d’une réaction naturaliste dont le témoignage est lisiblement écrit dans les premières comédies de Molière et les premières satires de Boileau. C’était vers 1660, et Mazarin vivait encore. La part de Louis XIV dans la littérature du XVIIe siècle est d’être survenu tout à point pour empêcher Boileau d’écrire plus d’Embarras de Paris et de Repas ridicule que d’Art poétique, Molière plus de Précieuses et de Sganarelle que d’École des femmes et de Tartufe, en contenant de loin et de haut, par l’exemple de la cour, cette veine de naturalisme dans de justes limites.

M. Krantz a raison encore de constater une fois de plus que l’amour de la nature a fait défaut à l’art classique; il prend soin d’ailleurs de nous rappeler lui-même qu’au XVIe siècle, Rabelais et Montaigne, Marot et Régnier n’en avaient guère fait plus de cas que n’en devaient faire leurs successeurs; c’est nous dispenser de mettre encore une fois le cartésianisme hors de cause. Il y aurait peut-être plus à dire d’une certaine Tendance à l’optimisme, qu’il considère comme propre ou, mieux encore, comme intérieure à l’art classique. La philosophie de La Rochefoucauld cependant, au commencement du siècle, et, vers la fin, celle de La Bruyère, sont-elles décidément si gaies? Je n’en suis pas moins de l’avis de M. Krantz : les exceptions seraient ici facilement ramenées à la règle. Mais n’aurait-il pas pu lier ces deux conséquences l’une à l’autre? Il semble, en effet, que ce soit la contemplation et l’amour de la nature qui rendent l’art pessimiste. C’est pour se consoler des hommes que l’artiste en appelle à la grande nature, à moins que ce ne soit pour avoir à qui s’en plaindre. Si Rousseau avait eu, comme Voltaire, de bons contrats de rentes et de bons biens au soleil, j’ai l’idée qu’il n’eût guère plus aimé la nature que le châtelain des Délices et de Ferney. Jusque chez les anciens, Virgile est un pessimiste, il aimait la nature; Horace est un aimable vivant, je crois qu’il ne s’en souciait guère. C’est dommage vraiment qu’il y ait des Grecs et des Anglais, un Homère et un Shakspeare, pour interrompre le raisonnement et gêner la conclusion. Enfin, quant à ce que nous dit M. Krantz de l’Absence du point de vue moral dans l’art du XVIIe siècle, c’est trop peu de chose pour qu’il vaille la peine d’y insister. Seulement il n’eût peut-être pas mal fait de chercher une autre expression pour traduire ici s pensée, qui est que l’art classique et la philosophie cartésienne « se sont renfermés dans l’explication la plus générale de l’homme sans porter aucun jugement sur sa condition présente et chercher à la rendre meilleure. » Car on lui accordera malaisément que le « point de vue moral » soit absent, je ne veux pas dire des Pensées de Pascal, puisqu’il les excepte, ou des tragédies de Corneille, mais des Oraisons funèbres de Bossuet et des sermons de Bourdaloue.