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interrogée nommait une assemblée qui était une protestation contre la politique à outrance du dictateur de Bordeaux, et elle consacrait d’avance, par une sorte de manifestation instinctive de confiance nationale, celui de qui elle attendait la paix et un gouvernement.

Le vote du 8 février 1871 était une date de l’histoire, de cette tragique histoire qui avait commencé au 15 juillet 1870 par la déclaration de la guerre, qui s’était si étrangement compliquée au 4 septembre par une révolution désastreuse et inévitable.


II.

Plus d’une fois, au courant de ce triste hiver de 1870-1871, surtout à l’approche d’un dénoûment trop facile à prévoir, M. Thiers, qui s’était toujours fait quelque illusion sur les exigences du vainqueur, avait répété dans ses conversations familières : « Si les hommes du 4 septembre avaient convoqué une assemblée à Tours ou à Bordeaux, il y a longtemps que nous aurions traité. Ils ne se seraient pas exposés, les malheureux! à ce qu’on leur dît plus tard : Un département, deux milliards et toute la honte à la charge de l’empire, — le reste à votre charge ! » Il n’avait été écouté ni au début par l’empire, qui avait déchaîné la guerre, ni plus tard par la défense nationale, qui l’avait aggravée, et maintenant c’était la grande liquidation des fautes et des malheurs des uns et des autres, de ce passé lugubre, de tout ce que ces six mois avaient mis de défaites, de confusions, de misères, de ruines, d’inconnu dans les affaires de la France. Vainement M. Gambetta se livrait à ses passions, et au nom même de ces passions avait essayé de se débattre contre un armistice qui seul avait empêché Paris de mourir de faim; vainement des esprits ardens, plus ardens que réfléchis, parlaient de reprendre la lutte, de résister jusqu’à « complet épuisement : » la réalité, telle qu’elle apparaissait de toutes parts, restait inexorable. Paris était rendu et ne comptait plus pour la défense contre l’ennemi, quoiqu’il pût compter encore comme ville révolutionnaire. L’armée de l’Est, — la troisième armée perdue pour la France depuis Sedan, — se voyait réduite à passer en Suisse. Chanzy, vaincu au Mans, était refoulé en désordre sur la Mayenne. Faidherbe venait d’être battu à Saint Quentin. L’invasion, libre de se déployer au-delà de la Loire, maîtresse des grandes positions, de nos places et de nos villes, ne rencontrait plus que la désorganisation dans nos camps et l’anarchie dans le pays.

C’est dans ces conditions que se dégageait pour ainsi dire spontanément du sein meurtri de la France une assemblée qui était elle-même l’image vivante et concentrée de toutes les confusions morales d’une nation désemparée. Elle complait, comme toute assemblée