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recomposer pièce par pièce, à rendre au pays, en un mot, un des ressorts de sa puissance.

Il s’occupait aussi des finances avec cette universalité d’esprit et cette vivacité de passion qui étaient sa force. Il ne pouvait faire autrement, il n’avait trouvé à son entrée au pouvoir que quelques millions dans le trésor, des ressources momentanément taries et des charges colossales[1]. Il avait heureusement auprès de lui la Banque de France, qui, depuis six mois, par sa conduite libérale autant que prudente, rendait les plus patriotiques services, qui avait épargné au pays l’effroyable désastre du papier-monnaie, ce préliminaire de la banqueroute. Avec la Banque, M. Thiers pouvait vivre quelques jours; il pouvait suffire aux premiers besoins, subvenir aux dépenses militaires, s’assurer les moyens de reconquérir Paris, Le problème de la situation financière ne restait pas moins tout entier, avec la rançon de 5 milliards augmentée des intérêts, avec les 8 ou 10 milliards de pertes, de sacrifices, de dettes de toute sorte, accumulés sur le pays, et c’est ici surtout que la virile confiance de M. Thiers était d’un effet décisif.

M. Thiers ne laissait pas aux esprits le temps de s’égarer, de se démoraliser par le doute et le découragement. Il n’admettait pas qu’on disputât sur l’obligation de faire face à tout. Il le disait familièrement, rondement : on avait commis les fautes, on pouvait les peser, faire la part des responsabilités, — il fallait d’abord payer ! C’était la loi de salut, — le Porro unum necessarium !

Oui, sans doute, il fallait régler les comptes; mais, la situation une fois connue et définie dans ses élémens essentiels, comment faire? Pour payer, il n’y avait qu’un moyen, — le crédit, un emprunt, une série d’emprunts proportionnés aux nécessités publiques. Pour trouver le crédit dont on avait besoin sans plus de retard, il fallait donner des garanties positives ; il fallait qu’il fût avéré pour le monde entier que la France n’avait pas seulement la bonne volonté, qu’elle acceptait tous les sacrifices, qu’elle était prête à créer des ressources à la mesure de ses charges. Tout se coordonnait et s’enchaînait. La situation ne pouvait être dégagée que par un vaste appel au crédit ; les recours au crédit impliquaient la création de nouveaux impôts destinés à être le gage de l’immense accroissement de dettes qu’on allait subir. M. Thiers, pour se reconnaître et se conduire

  1. M. Pouyer-Quertier disait plus tard que, le jour de son entrée au ministère des finances, le chef de la comptabilité lui avait porté dans son chapeau le dernier million qui restait au trésor, et M. Thiers de son côté pouvait dire au mois de décembre 1871 : «Aucun de nous ne savait comment nous pourrions sortir des embarras financiers où nous étions plongés, et moi qui, je crois pouvoir le dire, ai passé ma vie à m’occuper de la situation financière du pays, je vous déclare que par patriotisme je fermais les yeux... »