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que des aventuriers et des agioteurs. S’il leur arrive quelque mésaventure, tant pis pour eux ! bien fou serait le gouvernement qui tirerait un coup de canon pour les défendre ! C’est ce que l’on a dit et répété sur tous les tons à propos de cette colonie française d’Égypte, qui, des compagnons de Méhémet-Ali à M. de Lesseps, à Mariette et à M. Maspero, avait, par l’effet naturel des services rendus, assuré à la France, sur les bords du Nil, une prépondérance incontestée, une sorte de suprématie morale que personne en Europe ne songeait plus à contester. Tous les gouvernemens qui se sont succédé en France depuis soixante ans ont veillé avec sollicitude sur cette situation, que la troisième république semblait avoir encore affermie ; aujourd’hui un vote mémorable, qui nous coûtera peut-être plus cher que les désastres de 1870, en a consacré l’anéantissement, et la plupart de nos politiques paraissent prendre très bien leur parti d’un pareil résultat ; ils ne se doutent pas qu’une nation qui se désintéresse des choses extérieures et qui se replie sur elle-même risque de s’user et de s’éteindre, plus ou moins lentement, dans les mesquineries des discordes civiles et des discussions byzantines ; peu leur importe de décourager cette émigration qui, profitant tout ensemble au pays d’où part le courant et à celui vers lequel il se porte, crée des capitaux et surtout fait des hommes. Si ces doctrines doivent prévaloir, soyez logiques ; rayez d’un trait de plume tout le budget des affaires étrangères, mais ayez soin d’en garder l’argent ; vous aurez ainsi, en France même, bien plus de places à donner.

M. de Sarzec est d’un temps où n’avait pas encore triomphé cette sagesse que l’on préconise aujourd’hui, cette théorie de l’effacement, de l’abdication, de la mort volontaire. Il a bravement servi la France en terre barbare, dans deux de ces postes éloignés et dangereux où parfois on sentirait son cœur faiblir si l’on ne se savait soutenu, fût-ce à mille lieues de distance, par le gouvernement que l’on représente, si l’on n’avait derrière soi la puissance et la majesté de la France.

M. de Sarzec a d’abord porté l’épaulette en Afrique, puis, après un voyage en Égypte, il est entré dans la carrière diplomatique. En 1872, il était nommé vice-consul à Massaouah. Ce petit port, situé en territoire égyptien, sur la Mer-Rouge, a peu d’importance, mais c’est par là que l’Europe communique le plus aisément avec l’Abyssinie, où nous avons quelques intérêts, surtout de l’ordre religieux. Ce poste était donc ce qu’on appelle un poste d’observation ; le premier titulaire en avait été, sous l’empire, le célèbre voyageur Guillaume Lejean, bien connu des lecteurs de la Revue. Celui-ci, envoyé avec une mission spéciale auprès de Théodore, l’étrange et redoutable négus que l’Angleterre a renversé, était devenu son prisonnier ;