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goutte d’eau, on ne pouvait s’installer sur le terrain même des fouilles. C’était auprès du Chat-el-Haï que l’on avait dû établir le camp. Quelque temps qu’il fît, M. de Sarzec et ses ouvriers avaient, matin et soir, plus d’une heure de marche pour se rendre au chantier et pour en revenir, trajet que rendaient parfois fort pénible des tempêtes de sable ou des pluies torrentielles. Encore si l’on avait pu dormir tranquille ! Mais les maraudeurs battaient la plaine, et je laisse à penser s’ils étaient alléchés par l’idée de piller les tentes de ce Franc qui, disait-on, ne cessait de trouver des trésors dans les ruines de Tello ! M. de Sarzec avait d’ailleurs pris toutes ses précautions. Il s’était construit une sorte de forteresse dont le canal même formait et fermait l’un des côtés. C’était un rectangle entouré d’un fossé. En dedans de celui-ci, avec la terre qui en avait été retirée, on avait dressé un talus haut de 1m,50, dont la crête était garnie de branches épineuses étroitement enlacées. Une seule porte était percée dans cette enceinte, dont la tente du consul occupait le milieu. Autour de celle-ci s’élevait un second rempart fait avec les caisses, avec les sacs de café, de farine et de riz.

On ne s’en gardait pas moins ; chaque nuit, deux hommes veillaient ; à quelques pas de là, les ouvriers dormaient sous leurs tentes ou sous des huttes en branchages. On sut bientôt, dans tout le désert, que M. de Sarzec et ses cawass albanais étaient bien armés et résolus ; on sut qu’il pouvait compter sur ses Arabes, qui lui étaient attachés par leurs intérêts, par une longue habitude de vie commune et par les bons traitemens dont ils étaient l’objet. Il n’y eut donc jamais d’attaque sérieuse et poussée à fond ; mais on ne se lassait pas de tenter des surprises. Tout d’un coup, vers le milieu de la nuit, vous étiez réveillé par deux ou trois coups de fusil ; c’étaient les sentinelles qui avaient aperçu des maraudeurs et qui tiraient sur eux ; l’ennemi ripostait : en quelques instans, tout le monde était sur pied. M. de Sarzec recommandait à sa femme de ne pas se mettre sur son séant, de rester couchée et blottie sous ses couvertures ; elle serait ainsi mieux à l’abri des balles, qui, plus d’une fois, sont, en effet, venues au-dessus de sa tête trouer la toile de la tente ; puis il accourait prendre son poste de combat ; le tir rapide et le double canon de son fusil à bascule auraient, en cas de nécessité, fait plus d’ouvrage que dix des longs mousquets arabes. On tiraillait pendant un quart d’heure ; dans le camp et autour du camp la nuit s’illuminait d’éclairs ; mais les adversaires ne se voyaient point et ne visaient pas ; tout compte fait, il y avait donc plus de bruit que de mal. Dans la petite armée du consul, on ne reçut jamais de blessure grave ; un cawass, légèrement atteint à la cheville, en fut quitte pour quelques jours de repos. Des traces de sang, que l’on remarqua sur le sable, une fois le jour venu,