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de l’Egypte pénétrèrent, par l’effet du commerce et surtout de la conquête, jusque dans les profondeurs reculées de l’Ethiopie ; de même, l’influence de la Chaldée se fit sentir jusqu’à une distance énorme de son point de départ, jusque dans les froides vallées et sur les plateaux neigeux de l’Arménie. Celle-ci, dix degrés de latitude la séparent des plages torrides où, d’après la tradition, le dieu-poisson Oannès s’était montré jadis aux hommes encore sauvages et leur avait enseigné, dit Bérose, « tout ce qui contribue à l’adoucissement de la vie. »

Dogmes religieux et cérémonies du culte, langue et écriture, procédés techniques et industriels, agriculture savante favorisée par un système très perfectionné d’irrigation, littérature, arts qui traduisent par des formes sensibles les sentimens et les idées, tout cela, tout l’outillage et tout l’appareil de cette grande civilisation, ce sont les Chaldéens qui l’ont inventé et créé de toutes pièces dans des siècles presque aussi éloignés de nous que ceux où naquit la monarchie égyptienne et où régnèrent les six premières dynasties de Manéthon, celles qui représentent ce que l’on appelle l’ancien empire. Voulons-nous chercher ailleurs, dans le passé, des comparaisons qui nous aident à comprendre la situation dans laquelle se sont trouvées, l’une à l’égard de l’autre, pendant plusieurs centaines d’années, les deux puissantes nations qui se sont partagé la Mésopotamie : sous l’unique réserve de ne point oublier que l’histoire ne se répète jamais mot pour mot, d’un peuple et d’un siècle à un autre, nous pouvons signaler, dans des milieux mieux connus ou plus voisins de nous, des analogies qui mettront en lumière la nature et le vrai caractère de cette relation. On peut dire d’une manière générale que l’Assyrie est à la Chaldée ce que Rome a été à la Grèce, ce que le Japon est à la Chine. Comme les Assyriens, les Romains se sont plus fortement constitués pour l’action et pour l’empire que ne l’avaient jamais été ces Grecs dont ils tenaient leurs lettres et leurs arts ; par la supériorité de leur génie politique et de leur organisation militaire, ils sont devenus les suzerains d’un peuple qu’ils n’ont pas cessé de traiter avec un singulier mélange d’admiration et de mépris. De même que les Japonais l’ont fait pour maintes branches de l’art chinois, les Assyriens ont, grâce à certaines circonstances favorables, perfectionné quelques-uns des procédés qui leur avaient été transmis ; ainsi Babylone ne paraît pas avoir jamais ciselé sur les murs de ses édifices rien qui se puisse comparer aux bas-reliefs sans fin des palais ninivites, à ces longues pages de sculpture où l’histoire contemporaine est figurée par des milliers de personnages. Il n’en reste pas moins vrai que, comme les Romains et les Japonais, les Assyriens n’ont fait que suivre une impulsion reçue et continuer un mouvement commencé ;