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se préoccupera plus tard d’abattre et d’arrondir. Ici, aucune recherche de la grâce ; on ne vise qu’à la puissance et à la vérité de l’effet.

L’art chaldéen ne s’en est d’ailleurs pas tenu là. Une fois arrivé au degré de maîtrise où nous le montrent les statues de Goudéa, il avait fait des progrès dont nous ne pouvons mesurer la rapidité, mais dont les résultats sont maintenant sous nos yeux ; il était arrivé, nous n’en saurions plus douter, à une exécution très avancée qui gardait, jusque dans les moindres détails de la décoration et du relief, une délicatesse souvent merveilleuse. C’est là un fait qu’avait de à pressenti M. Heuzey, en étudiant les petites figures chaldéo-babyloniennes de la collection du Louvre[1]. Ces qualités de finesse et de perfection savante, il les retrouve dans plusieurs des fragmens recueillis par M. de Sarzec. Nous ne transcrirons pas la liste qu’il dresse des monumens où il reconnaît ce caractère ; mais pour donner une idée du troisième groupe qu’il établit ainsi, nous nous bornerons à signaler deux ou trois objets que le visiteur retrouvera facilement dans les vitrines du Louvre. L’un est un débris de bas-relief, dont il ne reste plus, par malheur, qu’un pied d’un modelé charmant avec un bout d’ornement qui représente un vase d’où s’échappent deux gerbes d’eau et des poissons ; le relief à peine sensible et l’extrême finesse de ce motif font penser aux prodiges de la ciselure japonaise. Ce qui pourtant nous frappe encore davantage, c’est une petite, toute petite tête en stéatite, qui reproduit le type des grandes statues avec une grâce et une recherche qui en font un véritable bijou : les yeux y ont déjà, très légèrement indiquée, cette direction oblique qui se marquera davantage dans les figures assyriennes. On en pourrait dire autant d’une autre tête en diorite, qui n’est plus rasée, comme les précédentes ; malgré la dureté de la matière, toutes les fines torsades de la barbe et de la chevelure y sont sculptées en relief avec une précision admirable.

Comme le dit M. Heuzey, « on ne songe pas sans émotion à ce que pouvaient, être de grands ouvrages de pierre ou de métal exécutés dans ce même esprit et dans ce même style ! » Ces ouvrages, nous les retrouverons peut-être quelque jour ; en attendant, pour apprécier le faire de cette école, nous n’avons guère que quelques figurines en terre cuite et les minces fragmens dont nous venons de parler. Cet art que nous entrevoyons et que nous devinons ainsi plutôt que nous ne le connaissons, quel nom lui donner ? Ce qu’il y a de plus simple, n’est-ce pas d’employer ici l’une de ces expressions que l’usage a consacrées, une de celle ? dont se sert le plus souvent le critique qui raconte l’histoire des lettres ou

  1. Voir dans la Revue archéologique, 1880, t. XXXIX, p. 1, son article intitulé les Terres cuites babyloniennes.