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l’on s’occupe surtout d’affaires, où des quantités de querelles et de discussions intestines divisent et subdivisent à l’infini le petit groupe peu homogène des Européens; une juridiction spéciale pour chaque nationalité ; des discussions et des haines interminables. Le grand mal vient précisément de l’existence du régime dit des capitulations, qui sont en Orient la sauvegarde de l’Européen; mais aujourd’hui, au point de vue de l’administration et de la sécurité, Tunis n’est pas plus l’Orient que Chypre, depuis que l’île est aux Anglais. A l’heure qu’il est, un Français est-il blessé dans la rue, c’est le consul de l’assassin qui juge le coupable, et plus d’un jugement partial est venu envenimer les haines déjà si ardentes. Veut-on établir une taxe permettant de faite balayer les rues du quartier européen, il faut le consentement de tous les consuls; que l’un d’eux s’y refuse, et ses nationaux ne paieront pas la taxe, et tous les autres Européens de repousser également l’impôt, pour ne pas être soumis à une plus dure loi que leurs voisins. Il en est de même dans toutes les grandes villes, il y faut quêter, avant de rien faire, l’assentiment unanime des roitelets consulaires, et il s’en trouve toujours quelqu’un dont le bon plaisir ne s’accorde pas avec celui des autres: c’est pourquoi, à Tunis, depuis un an que la ville est occupée, on n’a rien fait encore pour laver la capitale de ses boues fétides.

Mais, à aucun point de vue, on ne saurait défendre les capitulations. C’est un principe admis en fait par les puissances européennes que, lorsque l’une d’elles vient à occuper une contrée d’Orient, le régime des capitulations y disparait. C’est ainsi que dans deux cas récens et célèbres, le cas de la Bosnie et celui de Chypre, elles ont disparu, et on ne comprendrait guère les objections qui pourraient nous être faites, lorsque de notre côté nous les supprimerons à Tunis. Tous les états ayant de grands intérêts dans la Méditerranée savaient d’avance qu’un jour ou l’autre nous assurerions d’une manière définitive notre influence en Tunisie. L’abolition des capitulations ne saurait les surprendre. Ceux même dont les journaux ont le plus vivement protesté contre notre action devaient prévoir que notre protectorat ne tarderait pas à s’affirmer dans la régence.

Entre les Européens et les musulmans, il y a les Maltais qui marquent la transition. Ces sujets de l’Angleterre, originaires d’une île italienne, ne savent ni l’anglais, ni l’italien. Leur langue à eux, le maltais, est aux trois quarts une langue arabe; c’est en arabe qu’il faut parler aux cochers de Tunis, presque tous Maltais, parce qu’ils vous comprennent infiniment mieux que si vous leur parlez italien. Très actifs, très laborieux, ils fournissent à la régence une quantité d’excellens travailleurs. Ils vivent au milieu des indigènes, en bonne intelligence avec eux. Très fervens catholiques, jetant volontiers des pierres aux juifs pendant la semaine sainte, ils ne s’habituent guère à