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quelques-uns à Paris, où ils suivent les cours du collège Saint-Louis, pour se préparer à l’École centrale. On leur enseigne encore le dessin au lavis ; les cartes de géographie qu’ils lavent ne seraient certainement pas égalées dans nos lycées. Ils sont très fiers de terminer une belle carte avec les noms en français ou en arabe et de la porter à leurs parens.

En suivant les galeries du premier étage, on passe devant les nombreuses salles où les plus jeunes étudient le Coran. Chacune est coupée en trois ou quatre compartimens par des séparations de bois plus hautes qu’un homme; par terre, des nattes; dans un angle, un vieil Arabe accroupi, le maître à barbe blanche; le long du passage laissé en dehors des compartimens, entre les nattes et le mur, les souliers du professeur et des élèves. Ceux-ci, accroupis en ligne en face du thaleb, ont chacun sur les genoux une planchette enduite de blanc pour y écrire à l’encre des caractères qu’on efface ensuite en les lavant. Et l’on entend s’élever de toutes ces salles un long bourdonnement monotone fait de toutes ces voix d’enfans qui lisent ou récitent, en se balançant d’avant en arrière, les sentences que le maître leur a tracées.

Plus loin, les deux dortoirs, qui servent aux cinquante internes du collège. Les lits sont fort légers et très propres et se composent d’un seul matelas étroit et mince, porté sur quatre pieds hauts comme des pieds de chaise ; avec cela, un petit oreiller et un seul drap qui couvre juste le matelas; par-dessus, deux couvertures rouges de Djerbah, repliées sur elles-mêmes en deux, dans le sens de la longueur, laissant ainsi tout du long la moitié du drap à nu.

Je m’en allais, quand au bas de l’escalier les plus grands élèves se présentent et d’un air assez timide demandent à réciter à l’étranger des poésies dans sa langue pour lui faire plaisir. Et c’est bien singulier d’entendre ces petits musulmans débiter, avec assez du ton qui convient, la « description d’une bataille, » par Lamartine, et le « Prends un siège, Cinna, » sans fautes, sauf tout au début, où Cinna fut invité à prendre une chaise.

L’exemple du collège Sadiki montre ce qu’on peut tirer des Tunisiens en les instruisant; mais il ne s’agit pas de multiplier des collèges aussi complets et aussi coûteux, si utile que soit celui-ci. Il faut seulement remarquer que partout l’envie d’apprendre existe; dans la province même, il y a de petites écoles où vont les jeunes musulmans, et quoique l’enseignement n’y soit pas gratuit, le nombre des élèves y est considérable (deux cent quarante à Monastir, cinq cent soixante-quinze à Souse, sept cents à Sfax, quatre cents à Bizerte, etc.). On leur enseigne seulement à lire et à écrire l’arabe. Comme chez nous autrefois, l’école est une annexe de