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Durant le banquet, les yeux de Henri II s’étant par hasard arrêtés sur Mme de Rohan, il lui sembla, chose étrange, que « sa serviette se soulevoit[1]. » C’était là un indice tellement significatif qu’au bal qui suivit, voulant éclaircir le doute qui lui tenait au cœur, il invita Françoise à mener avec lui le branle de la torche ; elle y déploya, au dire de Brantôme, sa dextérité et sa grâce habituelles. « Elle avoit si bien accommodé sa taille, qui étoit fort belle, » qu’Henri II, ne s’étant aperçu de rien, la remit au bras d’un jeune gentilhomme qui mena avec elle le branle de la gaillarde. Tout le temps qu’elle dansa, le roi ne la perdit pas de vue ; mais cette seconde épreuve n’étant pas plus concluante que la première, il ne savait vraiment que croire, lorsque retrouvant dans le bal le connétable de Montmorency, qui était le plus proche voisin de Françoise pendant le repas, il lui fit part de ce qu’il avait vu. Le connétable avait fait la même remarque. Ses soupçons étant ainsi confirmés, Henri II, qui passa cette nuit-là chez la reine, lui redit tout, et l’invita à savoir au plus tôt ce qui en était en réalité.

Le lendemain matin, Françoise de Rohan, couchée dans un de ces grands lits du temps qui s’avançaient jusqu’au milieu de l’appartement, était encore à demi endormie quand, les rideaux s’entr’ouvrant brusquement, elle aperçut, debout à son chevet, Catherine de Médicis, fixant sur elle ses gros yeux au regard profond, ces yeux dont Marguerite de Valois avait tant de peur qu’elle a dit de sa mère : « Non-seulement je ne lui osois parler, mais quand elle me regardoit, je transissois. » De l’autre côté du lit, également debout, se tenaient Diane de Poitiers et Mme la connétable de Montmorency. Sur un signe de la reine, la main de Diane se glissa sous les couvertures. Cette main était trop experte pour qu’il pût rester l’ombre d’un doute : « Mademoiselle, dit tout bas Diane à Françoise, vous êtes bien malheureuse d’avoir fait cette faute ! » Françoise ne répondant pas : « Quelle honte vous me faites ! dit tout haut Catherine ; de qui êtes-vous enceinte[2] ? » D’une voix étranglée, mais pourtant ferme, Françoise avoua que c’était de M. le duc de Nemours, et que sa grossesse remontait à six ou sept mois. « Vous a-t-il promis de vous épouser, reprit la reine, et avez-vous des témoins de sa promesse ? — Il est trop homme de bien pour ne pas tenir ce qu’il m’a promis, répondit Françoise. — Je crains bien pour vous, mademoiselle, répliqua Catherine, que vous ne vous abusiez. » — La reine fit alors appeler Mme de Coué, la gouvernante de Françoise, et la gronda très vertement de ce qu’au mépris de ses défenses, tant de fois réitérées, elle avait laissé M. de Nemours

  1. Bibl. nat., fonds français. Procès de Françoise de Rohan, no 3513.
  2. bibl. nat., fonds français, no 3169. Procès de Mlle de Rohan.