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laissé entraîner aux idées nouvelles. La réforme l’avait marquée de bonne heure de son empreinte. Si l’on veut bien se rappeler les portraits de Marguerite d’Angoulême et de Jeanne d’Albret, au profil austère et ascétique, on voit que Françoise leur avait emprunté leur physionomie sérieuse et méditative, tout en gardant cette grâce féminine qui a manqué à toutes deux. Les femmes à l’aspect grave et imposant exercent une grande séduction sur certaines natures, souvent même sur les plus frivoles, surtout s’il vient une heure où leur regard sévère s’adoucit, où la statue de marbre descend de son piédestal et vient à vous. Par sa réserve et la dignité de son maintien, Françoise de Rohan s’était donc fait une place à part dans ce milieu de femmes affolées dont un contemporain a pu dire avec quelque raison : « Elles recherchent plutôt les hommes que les hommes ne les recherchent. » C’est ce contraste qui peut expliquer la sorte d’attraction qui retint si longtemps le duc de Nemours à la poursuite de Françoise de Rohan. Ce héros de boudoir trouvait en elle ce qu’il ne rencontrait pas dans les beautés faciles dont les avances l’avaient lassé. L’obstacle, en se prolongeant, avait irrité et surexcité les désirs du séducteur. De son côté, recherchée par le plus beau, le plus accompli cavalier de la cour de France et flattée d’une préférence que les plus belles lui enviaient, Françoise de Rohan s’éprit inconsciemment du duc ; se laissant aller à une douce illusion, elle crut avoir trouvé un cœur pareil au sien. La passion avait mis un bandeau si épais sur ses yeux qu’elle ne s’aperçut pas que, sous ces dehors charmans, sous cette enveloppe séduisante, se cachait un féroce égoïsme.

Cette liaison n’avait donné jusqu’alors aucune prise à la médisance. En voyant le duc engagé si avant avec une fille d’une si haute naissance et si digne de lui sous tous les rapports, on devait croire qu’il pensait uniquement à l’épouser. Trahie, abandonnée par lui, elle dira plus tard : « Durant sept années, le duc m’avait donné de grands et évidens signes de singulière amitié, non vulgaire et commune. » De part et d’autre, ils recherchaient toutes les occasions de se rencontrer. Le duc excellait dans tous les exercices du corps : si bon cavalier que sur Real, son cheval, il descendait au galop les degrés de la Sainte-Chapelle ; et jouant si bien à la paume que « les plus belles dames quittaient les vêpres pour venir le voir. » Mais dès que Mlle de Rohan apparaissait aux fenêtres ou dans la galerie, Henri II, le partenaire du duc, s’écriait : « Puisque Mlle de Rohan est venue, M. de Nemours ne frappera plus un bon coup. » Et Brantôme ajoute : « D’aucunes fois où le duc jouoit avec le roi au paille-maille, dès qu’il apercevoit venir Catherine de Médicis, il faussoit la compagnie à son royal adversaire et alloit droit à Mlle de Rohan, et si le roi le rappeloit, il ne craignoit