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ce qui fut très remarqué, il fit descendre Françoise de sa haquenée, qu’il dessella lui-même et dont il mit la selle sur la sienne, d’allures plus douces et de plus de vitesse. Il avait enfin obtenu de venir la visiter le soir dans sa chambre, placée tout au-dessous de la garde-robe de la reine. Il était alors sur le point de partir pour le Piémont. La veille du départ, étant venu faire ses adieux à Françoise, il s’attarda si avant dans la nuit, qu’il eut grand’peine à ne pas être surpris par les archers de la garde qui faisaient le guet autour de la chambre du roi. Ce dernier soir, devenu plus pressant, il fit entendre à Françoise qu’avant d’entreprendre un si long voyage, il voulait s’assurer de la bonne volonté qu’elle avait pour lui, comme il voulait l’assurer de la sienne. Il lui jura qu’il n’épouserait jamais d’autre femme qu’elle et lui remit un miroir de cristal de roche, au revers duquel étaient son portrait et son chiffre. Elle le refusa d’abord, mais comme il insistait, elle ne le prit que sur sa parole que c’était le présent d’un fiancé. De Piémont, le duc lui envoya une bague en émail et une affectueuse lettre. Les dames d’Italie l’ayant trouvé beaucoup trop séduisant et le maréchal de Saint-André en ayant charitablement averti Françoise, elle laissa sans réponse toutes les lettres que le duc continua à lui faire parvenir ; c’est pour se plaindre de ce silence obstiné qu’il lui écrivit : « L’on m’a dit que vous dites à tous ceux qui viennent en ce pays que je ne vous ai point encore écrit. Est-ce pour vous moquer d’eux, ou bien pour me vouloir point faire ce bien que de m’écrire ? Je vous supplie, mandez-le-moi ; car je suis en grand’peine de le savoir. L’on m’a donné une épingle qui vient de vous et que je vous rapporterai pour en attacher votre cœur et le mien, afin qu’il ne puisse plus se défaire. » Au retour de son voyage de Piémont, Nemours vint rejoindre la cour à Blois. Cette absence n’avait semblé diminuer en rien la vivacité de son affection ; de plus en plus il s’occupa uniquement de Françoise de Rohan. Pour un combat à la pique, qui eut lieu dans la grande salle du château, il s’habilla et fit habiller tous ceux de sa compagnie en bleu et violet, les couleurs de sa dame.

Cette poursuite assidue et dont le dénoûment se faisait si longtemps attendre, donna des inquiétudes à Catherine de Médicis ; elle interrogea le duc sur ses véritables intentions, et comme, pressé par elle de fixer l’époque de son mariage avec Françoise, il la renvoya à une année, alléguant la nécessité de mettre ordre à ses affaires, Catherine lui défendit de continuer ses visites dans la chambre de Françoise. Mlle de Rohan, préoccupée également de l’avenir de sa fille et des dangers qu’elle courait, l’invita à revenir en Bretagne. Le duc en fut le premier averti. La veille du jour fixé pour le départ de Françoise, il y avait à la cour comédie suivie d’un grand bal. En la menant danser, il lui dit tout bas : « Ne demandez pas votre congé à la reine