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à se donner encore, c’est la loi inexorable de toutes les chutes. À partir de ce jour-là, des relations suivies s’établirent entre le duc et Françoise. Ses femmes, qui jusqu’alors restaient dans la chambre pendant les visites du duc, furent peu à peu éloignées ; le vidame de Chartres et M. Damville s’étant un soir présentés à la porte des appartemens de Françoise, la trouvèrent close. Leduc suivit sa maîtresse à Fontainebleau, et, pour comble d’imprudence, il la suivit aussi à Chatillon-sur-Loing, l’une des demeures habituelles de l’amiral Coligny. Françoise logeait dans un pavillon séparé ; sa chambre donnait d’un côté sur la cour intérieure de cette austère maison, de l’autre sur la rue. Le duc y fit de bien fréquentes visites, n’en sortant souvent qu’au matin. C’est peu de jours après avoir quitté Françoise restée chez l’amiral qu’il lui écrivit la lettre suivante, où perce déjà l’idée de l’abandon : « Je vous supplie de ne pas vous découvrir de notre fait à personne, car il pourroit nuire à vous et à moi, et il y a assez de gens qui nous nuisent sans que nous-mêmes en prenions la peine. Je pense que vous l’avez dit à Mme de Coué ; mais je vous supplie qu’elle n’en dise ni n’en mande rien à personne que je n’aye parlé à vous. Je dis à personne du monde, ni au roi de Navarre ni à madame votre mère ; car nous sommes assez jeunes tous deux pour attendre un peu, et si nous nous en découvrions, les choses pourroient aller que nous serions tous deux très malheureux. » Peu de jours après, Henri II exigea que Nemours accompagnât en Italie le duc de Guise, qu’il y envoyait avec un corps d’armée. Ce fut un coup de foudre pour la malheureuse Françoise. La veille du départ, elle eut avec le duc un dernier entretien : « Vous partez, dit-elle, avec M. de Guise ; si vous ne m’épousez pas, je serai la plus malheureuse des femmes. — Vous ne vous fiez donc pas à moi ? répondit-il ; ne suis-je pas votre mari ? — Vous me tenez ces propos-là, reprit-elle tristement, mais aux autres vous ne les dites pas. — Je ne les dis qu’à vous seule, répliqua-t-il, car je suis votre époux et cela ne tient plus qu’aux cérémonies de l’église ; mais nous les ferons plus tôt que vous ne le pensez. » Sur ces mots, il se sépara d’elle, promettant de revenir le lendemain ; mais il partit sans la revoir.

Rien ne peut rendre le désespoir qui s’empara de la pauvre délaissée lorsqu’elle eut acquis la certitude du déshonneur qui l’attendait à une date fixe. En envoyant une bague au duc, elle lui écrivit une lettre où elle fit passer toute la douleur qui l’accablait : « Vous me dites, répondit le duc, que vous priez Dieu que je tienne ma promesse et qu’il vous donne à vous une belle mort. Voilà ce qu’il faut mander à un bien fidèle serviteur, comme je vous suis, pour le faire mourir désespéré. » Puis feignant d’être jaloux, il ajoutait : « Je pense que celui qui vous a trouvée si belle, à ce que