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de Béarn, alors âgé de trois ans, lui plut par sa vivacité et son esprit de repartie : « Veux-tu estre mon fils ? lui dit-il en le prenant dans ses bras, se retournant du côté d’Antoine de Bourbon. — Celui-là est le seigneur père, répondit l’enfant en patois basque. — Alors veux-tu être mon gendre ? — Ohé ! s’écria le jeune prince. » En flattant ainsi l’orgueil du père, et surtout celui de Jeanne d’Albret, qui, dès ce moment, pensait à Marguerite de Valois pour son fils, Henri II voulait sans doute atténuer l’humiliation que leur avait causée la faute de Françoise.

Le 7 mars 1557, Françoise accoucha d’un fils, qu’elle nomma Henri, en présence de sa mère, de Jeanne d’Albret, et de Mme de Miossens. Le duc de Nemours en fut tout aussitôt prévenu, mais « couru, dit Brantôme, par les grandes dames d’Italie, voire même par les courtisanes, » et n’en poursuivant pas moins la pensée d’épouser Lucrèce de Ferrare, la jeune sœur de la duchesse de Guise, il ne pensait plus guère à la triste délaissée, et encore moins à en faire sa femme. Une lettre de Henri II le rappela à la réalité. Le roi lui posait certaines questions auxquelles il était bien difficile de répondre directement. Il s’en tira très habilement : « Sire, manda-t-il du camp d’Ancône, le 1er avril 1557[1], par la lestre qu’il vous a plu m’écrire du fait de Mlle de Rohan, j’ai vu le commandement qu’il vous plaist en cela me faire, je n’ai point voulu faire faute, trouvant M. de Carnavalet si à propos de vous faire par lui entendre ce qui en est à la vérité, lequel je vous prie de croire comme s’il étoit moi-mesme. »

Au moment où cette lettre parvint à Henri II, toute l’attention de la France s’était reportée sur la Picardie. À la tête de cinquante mille hommes aguerris, le duc de Savoie avait investi Saint-Quentin, où Coligny s’était enfermé avec une poignée d’hommes. En voulant dégager la place, le connétable de Montmorency avait essuyé la plus sanglante des défaites et était resté aux mains des Espagnols. « Marche-t-on sur Paris ? » s’était écrié Charles-Quint en apprenant cette victoire inespérée. La route était ouverte : pas une armée pour couvrir la capitale. À cette heure de panique, Catherine de Médicis, tenue jusqu’alors à l’écart par Diane de Poitiers, fut la seule à ne pas désespérer de la fortune de la France. Elle se trouvait à Paris ; de son propre mouvement, elle courut à l’hôtel de ville ; heureusement inspirée par son patriotisme, elle arracha des larmes à toute l’assistance, et rendant du cœur à la grande ville, elle en assura la défense.

Au moment où tous les intérêts du pays étaient ainsi en jeu, Françoise de Rohan ne pouvait guère penser à poursuivre le duc de

  1. Bibl. nat., fonds français, no 3158, page 119.