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des prescriptions religieuses. Ils rougirent d’avoir oublié un moment que la personne d’un hôte était inviolable et qu’ils lui devaient asile et protection. Celui qui s’était montré le plus exaspéré s’approcha de l’inconnu et prenant un pan de son haïck :

— O toi que j’ai pu blesser, viens sous mon toit, tu en seras le maître.

L’étranger ne répondit pas.

Kouïder, à qui deux ou trois esclaves dépêchés auprès de lui venaient d’exprimer de la part de sa fille la satisfaction qu’elle éprouvait, conjura l’inconnu d’accepter l’hospitalité qui lui était offerte, mais lui, relevant le pan de son haïck, répliqua que les cœurs qui ne s’étaient pas ouverts tout de suite se fermeraient trop tôt, que, du reste, il ne lui fallait rien, ni fait ni dattes, et se tournant vers le chef de l’oasis, il lui dit en manière d’adieu :

— Je ne veux pas l’aumône. Dis à ta fille que j’ai l’âme pleine de délices à l’idée que ses yeux contemplent aujourd’hui les tourterelles bleues et qu’elle pourra faire dessécher sur son sein la fleur d’or du soleil.

Il venait à peine d’achever ces mots qu’il s’éloigna. Un quart d’heure après, il était hors de vue, en marche du côté de Ghadamès.


III.

Les jardins de Mettili environnent chaque maison. Celui de la demeure de Kouïder était vaste et planté d’arbres de toute sorte. Sous l’ombrage, et comme protégés par de magnifiques dattiers, croissaient à l’envi le bananier aux larges feuilles, le cédratier aux fruits énormes, le caroubier toujours vert. Çà et là, grimpant le long des robustes troncs des palmiers, les jasmins laissaient tomber tout autour de ces colonnes végétales leurs tiges chargées de fleurs. Contre les murs, parmi les roses éclatantes, couraient, soutenues par des traverses assujetties à des piquets de bois, les branches épineuses du cassier à boulons jaunes.

Autour d’une petite source, charme et fortune de ce coin de terre, les sauges veloutées de Timinoum formaient sous les pieds un tapis odorant. A quelque distance, une haie circulaire de jeunes citronniers protégeait les abords de la fontaine. C’est là qu’au coucher du soleil, Néfissa venait savourer en silence les voluptés tranquilles qu’où rencontre dans la contemplation des nuits sereines, voluptés d’autant plus désirées et nécessaires qu’elles succèdent aux lassitudes énervantes des heures chaudes.

Un soir, comme elle venait de s’arrêter près de la source, à son endroit favori, elle sentit le sommeil envahir soudainement tout son être. Elle était venue seule ; la journée avait été particulièrement