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— Promise!.. soupira, après un instant de silence, le Mozabite. Promise! répéta-t-il avec amertume et reproche. Et ta parole d’appartenir à celui qui aurait rempli tes vœux? Et tes sermens? continua le fils du boucher, ému jusqu’au fond de l’âme.

— Je ne dois à celui qui n’est pas de ma race, interrompit Nefissa, que des remercîmens et l’aumône si tu la veux.

— L’aumône! répliqua Mabrouck, qui bondit sous cette parole comme la gazelle sous le coup de feu, l’aumône ! garde-la, car tu la feras à ton mari; il ne t’a pas gagnée, lui !

— Va-t’en, sauve-toi, dit la jeune fille, qui se couvrit précipitamment de son haïck, pars si tu ne veux pas être dévoré par les chiens, vagabond sans nom, étranger sans patrie!

Et Néfissa courut vers la maison de son père.

— Néfissa!.. supplia Mabrouck, qui fit quelques pas vers elle, réfléchis, au nom du Prophète !

— Aux chiens le voleur!.. cria éperdûment la fille de Kouïder.

Et elle précipita sa fuite. A ses cris, ses deux slouguis bondirent à ses côtés; mais ils eurent beau s’élancer à la poursuite de l’homme qu’ils aperçurent à côté de la source, le Mozabite avait franchi la muraille du jardin et courait, plus léger que la nuée voyageuse, à travers l’immensité du désert.


IV.

Cinq jours après cet événement, Néfissa recevait en présent de Djilali vingt chevalières d’or, huit peaux de leroui[1], cent mesures de blé, vingt esclaves, deux méhari et des étoffes merveilleuses venues d’Egypte.

Le soir même, après un simulacre de combat devant la maison de Kouïder, Djilali, le fils de l’agha des Chambas d’Ouargla, enlevait sa fiancée aux sons assourdissans des gangââ, au milieu des coups de feu et des nuages de fumée. Comme il faut, d’après la tradition, que la fiancée ne touche pas le sol de la maison de son père à la demeure de son mari, Djilali la reçut dans ses bras descendant d’une mule richement caparaçonnée pour la faire monter dans un splendide ââtiche, ces somptueux palanquins suspendus au dos des chameaux. Fier et heureux, il escorta sa femme jusqu’aux extrémités de l’oasis, accompagné par cinquante cavaliers de Metiili qui, à cette limite, devaient le confier avec sa fiancée à cinquante autres cavaliers d’Ouargla, venus exprès pour faire cortège aux jeunes époux.

  1. Mouflons à manchettes.