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pour rompre le mariage, de cette ruine subite qui modifiait le contrat. On n’avait pas réfléchi qu’à ce compte le plus simple est d’escamoter toute une pièce, c’est-à-dire de n’en pas faire; on n’avait pas réfléchi non plus que si Mme de Saint-Genis eût agi de la sorte. Blanche eût sans doute avoué sa faute à sa mère, et que cette mère eût peut-être dérangé le joli petit Saint Genis dans son projet d’un nouveau mariage : c’est de Blanche elle-même qu’il fallait obtenir son sacrifice; c’est à Blanche seule que Mme de Saint-Genis devait s’adresser. Et comment? Est-ce une honnête femme et une femme du monde que cette belle personne mûrissante qui case son fils dans la bourgeoisie? Vigneron, au premier acte, s’étonne qu’elle ait trouvé, pour témoins du mariage, un chef de division et un général; le général et le chef de division ne viendront pas ensemble: ils se sont rencontrés chez Mme de Saint-Genis autrefois, mais je ne jurerais pas qu’elle eût préparé la rencontre. Bourdon l’aborde en souriant, sur un renseignement de son collègue Testelin, — qui aime les jolies femmes. Depuis le commencement de la pièce, toutes ses façons de parler et d’agir nous disent assez qui elle est, sans nous le dire trop; car c’est le propre de ces intrigantes de ne pas afficher qu’elles le sont. Elle est de ces beautés agissantes, qui, selon les circonstances et l’âge, sont filles, sœurs ou veuves de capitaines qu’on n’a jamais vus. Qu’au lieu d’un fils elle ait une fille, et qu’elle désespère de la marier, m’est avis qu’elle la présentera au jeune Gaston Vigneron, ce gaillard qui signe si dextrement des lettres de change de 10,000 francs, et cette fois, il ne sera pas besoin de Me Bourdon dans l’affaire. Voilà qui elle est : une diablesse, comme dit Rosalie, la vieille bonne. Voulez-vous qu’elle ait les sentimens et le langage d’une honnête femme? Eh bien, le public le veut. Pour le public, elle est une mère devant la fiancée de son fils, et lui prêter les paroles qu’une Mme de Saint-Genis doit avoir, c’est calomnier en elle toutes les mères, qui sont pareilles étant mères, c’est insulter toutes les femmes. Et les sifflets d’aller bon train. Parfait! Je me souviens d’une certaine Frosine qui, dans l’Avare, fait métier « d’entremetteuse d’affaires, » n’ayant reçu du ciel « d’autres rentes que l’intrigue et que l’industrie; » elle vante les beautés des jeunes filles aux vieillards et les mérites des vieillards aux jeunes filles : ô le vilain homme que ce Molière!

Mais ce n’est pas tout, et nous ne sommes pas au bout des impertinences de l’auteur. Sa comédie en deuil, sa comédie d’affaires, sa comédie de caractères et de vilains caractères est, pour comble d’audace, une comédie qui finit mal; et c’est là, comme on sait, un dernier degré d’insolence que le public ne pardonne pas. Mariane, à la fin de l’Avare, se trouve fille de don Anselme, qui la donne à Cléante ; à la fin des Corbeaux, Marie épouse Teissier. Qu’une jeune fille épouse un vieillard pour tirer d’embarras sa famille, c’est un spectacle fâcheux,