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reconstituer une majorité dont un gouvernement ne peut se passer, que M. le président du conseil appelle l’instrument nécessaire. Il y a sans doute des républicains sensés, modérés, qui comprennent les conditions de gouvernement, qui sont faits pour être la force et l’appui d’un ministère sérieux. Il y en a d’autres qui entendent bien être, eux aussi, de la majorité, et qui en ce moment même passent leur temps à réclamer plus que jamais les « destructions nécessaires, » la suppression du budget des cultes, la désorganisation de la magistrature et de l’armée, la réforme de la discipline militaire, la démocratisation des finances. Il y en a qui mettent toute la politique républicaine dans la tyrannie exercée sur les consciences, dans la guerre aux traditions et aux sentimens religieux ; il y en a même qui déclarent la guerre à l’histoire. Oui, en vérité, à l’heure qu’il est, en plein XIXe siècle, dans une ville normande qui passe pour avisée, il s’est trouvé un maire et un conseil municipal qui, sans crainte du ridicule dont ils se couvrent devant le monde, ont entrepris de faire disparaître une statue de Louis XIV. D’autres ont supprimé ou essayé de supprimer la colonne Vendôme, et le conseil municipal de Paris a fait ce qu’il a pu pour effacer de nos rues le nom de Bonaparte. M. le maire de Caen, qui tient à ne pas se laisser éclipser, supprime Louis XIV ! Voilà cependant ce que certains hommes appellent servir la république.

Eh bien, la conciliation dont on parle tant pour refaire une majorité ira-t-elle jusqu’à tenter de conquérir ces fiers républicains ? Sans aller même jusque-là, essaiera-t-on de désarmer ou de rallier ceux des radicaux qui en sont toujours à représenter comme des réformes urgentes de véritables bouleversemens dans l’état? Si c’est là ce qu’on veut, ce qu’on entend par la conciliation, il faut se préparer à des concessions perpétuelles, à commencer par la mairie centrale de Paris, et c’est tout simplement la continuation du système qui a conduit au désarroi d’aujourd’hui. Si on est décidé à se défendre des concessions dangereuses, on n’aura point évidemment cette intégrité reconstituée du parti républicain sur laquelle on paraît compter pour retrouver une majorité décisive. On aura plus que jamais affaire à toutes les dissidences, à une opposition intestine qui encore une fois rendra tout impossible. La difficulté est partout. Qu’on nous entende bien: il ne s’agit nullement de décourager M. le président du conseil. Cela veut dire qu’il ne faut pas se payer de mots, qu’il y a des transactions, des essais de conciliation parfaitement vains et que l’unique moyen de remédier à une situation aussi profondément altérée est encore une politique résolue à maintenir les garanties essentielles de gouvernement, à tenir en respect l’esprit de subversion sous toutes ses formes, à ne point acheter des appuis plus périlleux qu’efficaces. Cette politique, elle peut échouer sans doute : elle est du moins la seule qui puisse résoudre le problème imposé par les circonstances; elle est digne d’être tentée,