Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/719

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ailleurs, qu’on n’ait pas la moindre inquiétude sur les dispositions éventuelles du vainqueur. « Paris occupé par les Allemands, — s’il devait être occupé, — n’aurait jamais joui de plus de sécurité. Cette occupation ne serait pas un danger pour les habitans; ce ne serait qu’une honte pour la France. » Peu de chose vraiment! Quant à la France ainsi traitée, elle s’en tirera comme elle pourra. Elle se donnera, si elle peut, un gouvernement avec « un général, un prince ou avec les anciennes chambres. Peut-être aura-t-elle un lieutenant-général de par le roi de Prusse. » Le plus clair pour elle est qu’il faudra se résigner « à une paix qui détruira l’histoire de France à partir de Richelieu. »

Qui croirait cependant que, même dans l’extrémité de nos désastres, il n’y a pas de quoi rassurer et désarmer M. le ministre de Belgique à Berlin ? Pour lui, le malheur n’a point encore assez rectifié les notions des Français. Plus que jamais l’Allemagne doit rester la grande protectrice de la neutralité belge qui restreint aux Vosges la ligne attaquable par la France. «De passive qu’elle était, ajoute-t-il gravement, l’Allemagne deviendra active pour nous détendre... La Belgique n’a toujours qu’un adversaire, la France ! » Oui, vraiment, pour M. Nothomb, le seul danger que court l’indépendance de la Belgique vient de la France. Et voilà cependant ce qu’a pu écrire un Belge qui a passé pour un homme d’esprit et un habile diplomate, ce qu’on peut reproduire aujourd’hui dans des Souvenirs mal venus, pour illustrer ou recommander cette mémoire ! Après cela, M. Nothomb avait certes toute sorte de titres à recevoir la lettre que le roi Guillaume lui écrivait de son « quartier-général de Reims, » pour le féliciter à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de son entrée en fonctions comme représentant de la Belgique à Berlin et pour lui envoyer son « portrait peint sur un vase en porcelaine, » en signe de satisfaction. « Le roi, dit-il, m’a complimenté de sa glorieuse main. » Voilà qui est au mieux pour un diplomate chargé d’être le représentant impartial d’une neutralité entre des belligérans ! Où donc était la nécessité de publier ces Souvenirs, d’exhumer des archives les plus intimes ces boutades, après tout assez médiocres? Si c’est pour faire honneur à un homme qui a eu un assez grand rôle dans son pays, on s’est exposé, au contraire, à compromettre étrangement la réputation que s’était faite ce Nestor de la diplomatie. Si c’est pour montrer à la nation belge l’inspiration qu’elle doit suivre, on réussira encore moins, il faut le croire. La Belgique sait bien que la France libérale, après l’avoir aidée à naître, n’a eu jamais que des sympathies pour l’indépendance belge et qu’elle trouve dans cette indépendance sa propre garantie.

La politique se fait avec du bon sens, avec de la clairvoyance, avec de la mesure, et plus que jamais tous les pays ont besoin de s’en tenir aux sages inspirations dans leurs affaires extérieures ou intérieures. L’Italie, comme bien d’autres pays, a besoin, elle aussi, de raison et