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parce qu’il est trop héroïque ; on peut, et c’est l’opinion de beaucoup de gens en Amérique, compter davantage, pour combattre l’usage funeste du whiskey et du gin, sur la vulgarisation de la bière; mais assez de gens donnent aux pauvres le conseil de vertus, de renoncement, d’austérités qu’ils seraient incapables de pratiquer eux-mêmes, pour que ceux qui ont le courage de prêcher d’exemple méritent plutôt le respect que le sourire.


BOSTON.

1er-3 novembre.

Il est écrit que de cette dernière et rapide tournée j’emporterai encore plus de regrets que de bons souvenirs. Un des plus vifs a été de ne faire en quelque sorte que traverser Boston et encore par une pluie battante. En y arrivant en chemin de fer, j’ai remarqué combien les campagnes que nous traversions ressemblaient à celles de l’Angleterre : ces pays les plus anciennement colonisés de l’Amérique se sont calqués davantage sur la mère patrie et méritent bien leur nom de Nouvelle-Angleterre. Certains quartiers de Boston, entre autres les environs du parc, ressemblent aux jolis squares de Londres; comparaison que j’ai faite, soit dit en passant, devant un Bostonien et qui ne m’a pas paru le flatter autant que je l’aurais cru. J’aurais donné beaucoup pour pouvoir passer au moins quelques jours dans cette ville qui est le centre de la haute culture intellectuelle en Amérique et où les plaisirs de l’esprit tiennent la place que tiennent à New-York les plaisirs du monde ou les questions d’affaires. Pour une raison toute personnelle, c’était de toutes les villes d’Amérique la seule où par l’imagination j’avais déjà vécu et j’aurais voulu savoir si la réalité répondait à l’idée que je m’en étais faite. Je ne me flatte pas qu’un seul lecteur de la Revue ait assez bonne mémoire pour se souvenir qu’une modeste étude sur Prescott est le premier essai que j’aie soumis, il y a malheureusement plusieurs années, à leur suffrage. C’est à Boston que Prescott a vécu, c’est à Boston qu’il est mort après une vie consacrée tout entière au culte des lettres. Cette existence studieuse et sans tache a été un des enthousiasmes de ma première jeunesse: j’aurais voulu voir cette maison de Beaclon-street où il a vécu; ce cabinet où il a passé de si laborieuses journées et où il a demandé qu’après sa mort son corps fût laissé seul pendant quelques heures. Pour un peu j’aurais poussé jusqu’à sa maison de campagne de Pepperell, et j’aurais fait un pèlerinage au vieux cerisier à l’ombre duquel il mesurait sa promenade quotidienne de semi-aveugle, creusant profondément