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dire que les titres de chapitre de cette jolie idylle étaient plus longs que l’ouvrage! D’où venait ce changement d’opinion? car M. Sainte-Beuve avait fait six fois l’éloge du poème de Marie. Ce changement venait de ce que Brizeux, en publiant les Bretons et en entrant franchement dans sa nationalité, s’était éloigné de l’idée que M. Sainte-Beuve avait conçue de sa personne et de son talent. Il prétendait que M. Brizeux était sorti des Consolations et qu’il voulait renier son origine. Sa Marie n’était « qu’une petite fille en l’air qui n’avait été qu’un prétexte à ses langueurs d’étudiant, très épris d’ailleurs de Paris, de ses plaisirs et de son mouvement artistique et littéraire. » C’était là un point de vue absolument faux. Brizeux ne fut jamais un Joseph Delorme. Son sentiment et ses regrets du pays étaient vrais, et quant au style, il n’avait aucun rapport avec la manière de M. Sainte-Beuve. La Fontaine, Racine, André Chénier, voilà les véritables ancêtres de Brizeux et les poètes qu’il relisait sans cesse ; il a donné seulement à leur idiome si naturel une saveur plus agreste. Quel que soit le jugement que l’avenir puisse porter sur l’œuvre de ce barde éminent, écrivant en français des idylles bretonnes, il n’en restera pas moins, à mon sens, le premier de nos poètes bucoliques : la figure de Marie, cette Laure mystique des pays de l’Ouest, est une trouvaille du plus rare bonheur et ce sera certainement son plus beau titre de gloire. Elle est, avec la Mireille de Mistral, le type le plus charmant de l’amour chaste et pur dans un cœur de vierge à peine adolescent. C’est une nouvelle sœur de Virginie, mais plus contenue et plus délicate et elle a le mérite d’incarner en elle tous les sentimens naïfs et chrétiens d’une vieille et antique nationalité qui s’efface devant le dragon rouge, comme disait le poète de la civilisation moderne. M. Brizeux se présenta une fois aux suffrages de l’Académie française, et il n’eut pas l’heur de les obtenir. Des dires méchans et calomnieux lui barrèrent les portes de ce cénacle. «Nous avons bien assez de M. de Musset, » tel fut le mot prononcé à cette occasion : la vérité est que la noble pauvreté du poète fut le véritable motif de ce mauvais vouloir. »

Barbier conçut de cette affaire une rancune soi-disant inextinguible contre l’Académie. Blessé personnellement de l’affront infligé à son ami, sa mauvaise humeur ne se contenait pas. Il en voulait à Brizeux de s’être présenté : « Que diable allait-il faire dans cette galère? » se moquait d’Alfred de Vigny, donnait raison à Béranger. Bref, il était alors de nous tous le plus résolument intransigeant. Mais, hélas! souvent l’homme varie et comme prêche la chanson, il ne faut jamais dire à la fontaine de l’Institut : « Je ne boirai pas de ton eau ! » Barbier plus tard se ravisa; il est vrai qu’on vint le chercher, car on avait besoin de lui pour empêcher Gautier de passer. Il