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je serais fort embarrassé de savoir à quoi comparer la high school ou école supérieure que j’ai visitée. Cette école se divise en deux branches, the English high school, où l’on enseigne principalement le français, l’allemand et les sciences appliquées, et the Latin public school, où l’on donne, au contraire, l’enseignement classique. Il y a entre ces deux divisions de la high school la même différence qu’entre le collège Chaptal ou l’école Turgot et le lycée Louis-le-Grand. Mais ce qui fait la profonde différence entre cette institution et n’importe quel établissement d’enseignement secondaire français, c’est que la high school de Boston est gratuite et publique comme le sont chez nous les écoles primaires, et par conséquent accessible aux enfans des classes les plus humbles de la société. J’ajoute que, malgré cela, elle est, comme extérieur, plus belle qu’aucun de nos bâtimens scolaires, et que l’intérieur en est aménagé avec beaucoup d’entente et de goût. Aussi je comprends que les habitans de Boston soient excessivement fiers de cette institution qui, du reste, n’est pas spéciale à leur ville (on se souvient peut-être que nous en avions visité une à Providence) et qui n’est que l’application d’un principe essentiellement américain : mettre gratuitement l’instruction à tous les degrés à la portée des enfans de toutes les classes. On peut discuter sur le principe, mais en ne saurait en aucun cas refuser son admiration au pays lui-même, aux états et aux villes qui, pour réaliser ce programme, consentent sans marchander à des sacrifices pécuniaires considérables et mettent leur honneur à aménager des écoles gratuites avec beaucoup plus de luxe que ne sont aménagées chez nous les écoles payantes. Quant au système en lui-même, la grande majorité des esprits, et des meilleurs, est convaincue aux États-Unis de ses immenses avantages. Cependant j’ai entendu mettre en doute l’excellence de ce système par quelques Américains. Je leur ai entendu dire, ce qu’on ne manquerait pas d’alléguer chez nous, que l’enseignement littéraire et classique donné à des enfans sortis d’une condition très humble et destinés peut-être à y retomber, produisait des mécontens et des déclassés qui prenaient en dédain la manière de vivre de leurs parens, et qui, incapables de vivre du travail de leurs mains, n’en étaient pas pour cela plus capables de vivre du travail de leur intelligence. En France, l’objection serait très forte, et ce n’est assurément pas faute de bacheliers que nous périssons. Mais dans un pays jeune, où il y a tant de débouchés pour l’activité humaine, tant de choses à créer, tant de places à conquérir, l’objection ne me paraît pas très péremptoire, et tel qui sera chez nous un déclassé deviendra peut-être en Amérique un fondateur de villes. Sous ce rapport, je serais donc dis- posé à être plus Américain que certains Américains eux-mêmes.

La durée des études dans la high school, Latin ou English, est de