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tous ces oiseaux sans nid, et les petites armoires, bien petites, où ils serrent leurs nippes de rechange, quand ils en ont.

C’est de là que je suis parti avec un des membres de la société pour aller visiter quelques maisons de pauvres. Il m’a conduit d’abord dans une de ces grandes maisons à six étages que Philadelphie se vante de ne point posséder et qu’on appelle à New-York tenement 'houses. Précisément, le maire de New-York avait visité la semaine précédente quelques-unes de ces maisons, et le Harper’s Weekly, l’Illustration de New-York, avait publié des dessins représentant des scènes d’intérieur lamentables, croquées sur le vif dans ces casernes de la misère comme nous en avons tant à Paris. A vrai dire, l’imagination du dessinateur avait bien ajouté quelque chose à l’horreur de ces scènes; dans les pauvres chambres où j’ai pénétré, je n’ai rien vu de très différent de ce que j’ai constaté à Paris dans la cité Jeanne-d’Arc ou dans la cité des Khroumirs, sauf que les êtres eux-mêmes sont plus dégradés et se tiennent moins décemment. Mais j’étais destiné à voir mieux ou pire. Sortis d’une de ces maisons sans qu’elle nous fût tombée sur la tête (ce qui était une chance, car quelques jours après l’une d’elles s’est écroulée ensevelissant de nombreuses victimes), j’ai été conduit par mon guide dans une des rues les plus peuplées d’un district assez mal famé à New-York, celui de Five Points. Cette rue est habitée presque exclusivement, mais dans des conditions assez singulières, par une population de balayeurs et de balayeuses, les uns Irlandais, les autres Italiens, qui s’emploient la nuit à balayer Broadway et les grandes artères de la ville, pour le compte de commerçans et de particuliers assez mal satisfaits du balayage officiel. Cette population de noctambules ne se couche jamais et elle n’a ni toit ni lit. Mais ils se réunissent pendant la journée, dans une chambre louée par l’un d’entre eux, généralement une femme, à laquelle ils paient une rétribution de quatre ou cinq sous par jour, pour avoir le droit de demeurer dans cette chambre, de s’y chauffer en hiver et de prendre deux fois par jour leur part d’une nourriture grossière. Ce n’est pas cher, comme on voit, mais aussi les conditions auxquelles ils vivent sont inimaginables. J’ai pénétré, sous la conduite d’un policeman auquel mon guide, forcé de m’abandonner, m’avait confié, dans deux de ces chambrées. L’une était habitée presque exclusivement par des Irlandais; des hommes, des femmes de tout âge, en haillons, à demi nus, y donnaient pêle-mêle, et entassés les uns sur les autres, dans une atmosphère fétide. Les femmes étaient les plus dégradées d’aspect, et c’est à peine si quelques-unes levaient pour nous regarder leur tête appesantie par une ivresse habituelle. L’autre chambre était au contraire presque exclusivement peuplée d’Italiens. Les dimensions