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hors de combat. Ainsi apparaît une des conséquences des transformations accomplies : il y a dans les navires des parties vitales qu’il suffit d’atteindre pour tout réduire. Il s’agit donc moins de tirer beaucoup que de frapper juste et fort. La précision croissante des pièces a permis de restreindre leur nombre, la volonté d’obtenir des résultats efficaces a conduit à l’accroissement des calibres, l’accroissement des calibres a rendu le tir si dangereux pour les navires qu’il a fallu les protéger.


II.

Dès lors commence entre le canon et la cuirasse cette lutte où, l’effort de chacun obligeant l’autre à un plus grand effort, en moins de vingt ans, le calibre des pièces est passé de 14 à 45 tonnes, leurs poids de 4 à 100, les épaisseurs de plaques de 0m,10 à 0m,75 ; et ce progrès parallèle où les peuples rivaux cherchait une suprématie définitive n’aboutit qu’à balancer entre eux une égalité toujours menacée.

Rien ne dispose à la critique comme l’insuccès. Certains inconvéniens du blindage avaient apparu dès l’abord : surchargés de son poids, les navires étaient moins rapides, moins manœuvriers, moins stables. Aussi la première opposition au blindage vint-elle des hommes de mer. Les hommes de calcul, qui excellent à peser les intérêts dans la balance d’équations savantes, avaient répondu qu’il n’était pas trop cher de sacrifier quelques avantages nautiques à de plus grands avantages militaires. Mais quand eux-mêmes virent croître les charges budgétaires et diminuer le nombre des navires sans que le but fût atteint, ils en arrivèrent à se demander si ces tentatives pour rendre les flottes invulnérables n’avaient pas pour résultat d’affaiblir la force maritime. Cette crainte, à l’heure présente, envahit les plus confians et, tour à tour, ils rendent publiques leurs, incertitudes, comme des voyageurs jouets d’un long mirage s’arrêtent sur une route dont ils n’aperçoivent plus le terme, chacun au point précis où finit son illusion. Le dernier par la date, mais non par l’importance, est l’un des hommes qui ont contribué davantage à développer les instrumens d’attaque et de défense. Sir William Armstrong, il y a quelques mois à peine, résumait, en leur donnant l’autorité de son assentiment, les principales objections contre la marine cuirassée :

« Nous n’exagérons rien en affirmant qu’un seul cuirassé coûte aussi cher que trois vaisseaux non blindés, bien meilleurs marcheurs, et susceptibles de porter ensemble trois arméniens égaux chacun à celui du cuirassé. Si donc on dispose des fonds nécessaires pour créer une flotte, quel en sera le meilleur emploi ?