Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/909

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des bâtimens qui résolvent les petits conflits, soient partout une protection présente et la menace d’une plus redoutable si celle-ci ne suffit pas. Ce rôle appartient aux croiseurs.

Comme ils sont faits pour attaquer et protéger le commerce tous les points du globe, ils ne sont à leur place ni dans les ports ni en escadre dans les mers territoriales ; les campagnes et les stations les appellent ; les y destiner, c’est les placer d’avance à leur poste de combat. La puissance du type n’est pas ici, comme lorsqu’il s’agit de cuirassé, l’unique but à atteindre. En guerre, à cause du délai très court pendant lequel peut être capturé le commerce ennemi ; en paix, à cause de la multiplicité des points où les nationaux ont des intérêts, le nombre des croiseurs est un élément nécessaire à l’efficacité de leur action. Le nombre n’est pas compatible avec la grandeur des vaisseaux : sous peine de ruiner les finances, la grandeur elle-même n’est pas partout indispensable et parfois peut devenir un embarras. Il y a des plages basses dont les grands navires ne peuvent approcher, des fleuves où il leur est imprudent de s’engager, des côtes où l’importance des intérêts ne Justifierait pas la présence de forces imposantes, des occasions enfin où il est moins nécessaire d’être fort sur un point que présent sur tous. De moindres bâtimens ont un rôle et auront une valeur militaire à la condition que, renonçant à poursuivre à la fois plusieurs avantages et se gardant de telles armes, on place leur principale supériorité dans leurs machines. Toujours assez forts contre les bâtimens de commerce, ils peuvent, s’ils sont rapides, leur faire une chasse fructueuse, et quand cette mission s’achèvera, maîtres, grâce à leur vitesse, d’échapper aux croiseurs ennemis, ils rejoindront le théâtre principal de la guerre et là, unis aux forces nationales, servant d’intermédiaires entre les escadres et le littoral, chargés des reconnaissances à rayon étendu dans la haute mer ou le long des côtes, ils deviendront les plus utiles auxiliaires des grands navires et leur apporteront ce qu’ajoute à la puissance des armes la rapidité des informations. Cette puissance navale d’ailleurs n’est pas seulement faite par la valeur des navires, mais par la valeur des hommes qui les dirigent. Or dans une marine où manqueraient les navires de dimensions moyennes, une chose aussi pourrait manquer, les officiers. À quels indices discerner, parmi des hommes qui ont dirigé des embarcations ou qui ont obéi sur les vaisseaux, le don du commandement ? Quels moyens seraient offerts aux plus brillamment doués de se connaître et de s’éprouver eux-mêmes ? Quelle autorité apporteraient-ils passant d’un torpilleur ou d’une chaloupe au banc de quart d’un cuirassé ou d’un croiseur de premier rang ? Quelle apparence que l’état ne paierait pas chèrement en paix et