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qu’enjouée, il se leva pour aller s’informer si son tour approchait. Il avait hâte de se trouver seul et de se donner du mouvement.

Mme de Trémont, causant tranquillement avec une amie, n’avait pas vu passer son fils. Quant à la duchesse, remise en apparence de son bouleversement, elle avait fait parler le marquis.

— Quelle est donc cette personne, lui avait-elle dit en se penchant discrètement, en compagnie de laquelle vient de passer M. de Trémont ?

Et le marquis, modérant avec science l’expression de sa joie, avait répondu sur un ton d’indiiïérence :

Mme Jane Spring, demi-mondaine fort remarquable et très recherchée, pas banale du tout. M. de Trémont doit être de ses intimes, car je les ai rencontrés, l’autre matin, au Bois, et elle ne sort pas avec tout le monde. Il montait un cheval à elle, à ce que m’a dit quelqu’un qui était avec moi…

Madeleine, en entendant parler de cette rencontre, qui lui confirmait durement la révélation de tout à l’heure, avait eu un regain de trouble et d’émoi, qui avait obligé le marquis, dont le jeu était de ne rien voir, à changer de conversation par un brusque détour.

Arrivé dans les écuries, Roger intrigua auprès de deux ou trois camarades qui devaient passer avant lui ; il y gagna de pouvoir monter presque immédiatement à cheval. — La bête, indisposée par une longue attente et énervée par les sonneries lépétées du cor, qui semblaient autant de provocations, entra tout de suite en défense ; les éperons de Roger, appliqués derrière les sangles avec une vigueur brutale, firent perler des gouttelettes de sang au bout des poils et mirent une parure de rubis aux flancs de l’infortuné Cabochard. Alors, le cheval bondit en avant, renversant, pour pénétrer dans le manège, le gardien de la paix qui en interdisait l’accès aux spectateurs. Une fois dans l’arène, ébloui par le grand jour, furieux des piqûres dont on venait d’infliger l’afiront à ses flancs chatouilleux, il se livra à une série de pointes et de gambades qui eussent fait vider les arçons à de très bons cavaliers, mais laissèrent Trémont parfaitement inébranlable. Enchanté de trouver l’emploi de sa mauvaise humeur, le jeune centaure, mordillant sa lèvre, les cuisses collées aux quartiers de la selle, bien assis, jouant des talons et du bras, rossa littéralement son cheval, jusqu’à ce que l’animal eût l’air de demander grâce. Alors seulement, il replaça ses jambes et remit sa main droite sur les rênes, pour se porter en avant. Les applaudissemens éclatèrent. On commençait à trouver a séance monotone, et l’on savait gré à ce charmant cavalier de fournir un intermède émouvant, iit puis, tout le monde était séduit