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répand sur les apôtres. Sauvé à la révolution, puis compris dans la galerie du cardinal Fesch, ce tableau a été racheté par la compagnie de Saint-Sulpice ; il orne aujourd’hui la chapelle du séminaire.

À part les murs et les meubles, tout est ancien à Saint-Sulpice ; on s’y croit complètement au XVIIe siècle. Le temps et les communes défaites ont effacé bien des différences. Saint-Sulpice cumule aujourd’hui les choses autrefois les plus dissemblables ; si l’on veut voir ce qui, de nos jours, rappelle le mieux Port-Royal, l’ancienne Sorbonne et, en général, les institutions du vieux clergé de France, c’est là qu’il faut aller. Quand j’entrai au séminaire de Saint-Sulpice, en 1843, il y avait encore quelques directeurs qui avaient vu M. Émery ; il n’y en avait, je crois, que deux qui eussent des souvenirs d’avant la révolution. M. Hugon avait servi d’acolyte au sacre de M. de Talleyrand à la chapelle d’Issy en 1788. Il paraît que, pendant la cérémonie, la tenue de l’abbé de Périgord fut des plus inconvenantes. M. Hugon racontait qu’il s’accusa, le samedi suivant, en confession « d’avoir formé des jugemens téméraires sur la piété d’un saint évêque. » Quant au supérieur-général, M. Garnier, il avait plus de quatre-vingts ans. C’était en tout un ecclésiastique de l’ancienne école. Il avait fait ses études aux robertins, puis à la Sorbonne. Il semblait en sortir, et, à l’entendre parler de « monsieur Bossuet, » de « monsieur Fénelon[1], » on se serait cru devant un disciple immédiat de ces grands hommes. Ces ecclésiastiques de l’ancien régime et ceux d’aujourd’hui n’avaient de commun que le nom et le costume. Comparé à la jeune école exaltée d’Issy[2], M. Garnier me faisait presque l’effet d’un laïque. Absence totale de démonstrations extérieures, piété sobre et toute raisonnable. Le soir, quelques-uns des jeunes allaient dans la chambre du vieux supérieur pour lui tenir compagnie pendant une heure. La conversation n’avait jamais de caractère mystique. M. Garnier racontait ses souvenirs, parlait de M. Emery, entrevoyait sa mort prochaine avec tristesse. Cela nous étonnait par le contraste avec les brûlantes ardeurs de M. Pinault, de M. Gottofrey. Tout dans ces vieux prêtres était honnête, sensé, empreint d’un profond sentiment de droiture professionnelle. Ils observaient leurs règles,

  1. Qu’il me soit permis à ce sujet de faire une remarque. On s’est habitué de notre temps à mettre monseigneur devant un nom propre, à dire monseigneur Dupanloup, monseigneur Affre. C’est là une faute de français ; le mot « monseigneur » ne doit s’employer qu’au vocatif ou devant un nom de dignité. En d’adressant à M. Dupanloup, à M. Affre, on devait leur dire Monseigneur. En parlant d’eux, on devait dire monsieur Dupanloup, monsieur Affre, monsieur ou monseigneur l’archevêque de Paris, monsieur ou monseigneur l’évêque d’Orléans.
  2. Voir la Revue du 15 décembre 1881.