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momens d’effervescence, à des violences dont du reste ils ne gardent pas rancune. Ils laissent passer la bourrasque, secouent les oreilles et recommencent bientôt leur œuvre ténébreuse.

Laborieuse et énergique, la population de l’Alsace a réussi à faire de ce pays l’un des plus prospères du monde. Sauf dans la montagne, il n’y existe pas de fermes isolées ; les habitans, forcés de se défendre contre les dévastations des gens de guerre, se sont de bonne heure groupés en hameaux et en villages, dont beaucoup conservent encore les vieilles murailles qui les protégeaient autrefois. Cette distribution, nuisible aux opérations agricoles, n’empêche pas cependant que la culture, surtout dans le Bas-Rhin, n’y soit très avancée. La propriété y est extrêmement morcelée, puisque ce département ne compte pas moins de deux millions de parcelles, dont beaucoup n’ont que quelques ares d’étendue ; mais aucune d’elles n’est laissée inculte. Les landes et les pâtis, si nombreux sur d’autres points de la France, ont complètement disparu ; et le sol, grâce au labeur des habitans, est porté à son maximum de production ; aussi le prix des terres, comme celui des locations, y est-il fort élevé. Outre les céréales, la plaine d’Alsace produit des plantes industrielles, la garance, le pavot, le colza, le lin, le chanvre, le tabac, le houblon ; toutes cultures qui sont très productives. Le colza et le pavot rendent en moyenne de 500 à 600 francs par hectare, le chanvre et le lin environ 1,600 francs, le houblon et le tabac[1] plus de 2,000 francs. Les produits animaux ne répondent pas à ceux de la terre. Le bétail est insuffisant et peu perfectionné ; la race bovine, qui compte 300,000 têtes, est petite et mal conformée ; la race chevaline représentée par 78,000 sujets, est sans aucune distinction ; quant à la race ovine, elle ne dépasse pas 96,000 têtes, l’extrême division de la propriété faisant obstacle à son développement.

L’enquête agricole, faite en 1866 par MM. Lefebure et Tisserand, porte à 195,000,000 de francs le total de la production agricole de l’Alsace, dont 148,000,000 de francs pour les produits végétaux et 47,000,000 de francs pour les produits animaux. Ces chiffres représentent un rendement brut de 223 francs par hectare, c’est-à-dire supérieur au rendement moyen de l’Angleterre elle-même, qui n’est que de 147 francs. Bien que le revenu net y soit moindre que dans ce dernier pays, à cause de la main-d’œuvre qu’entraîne le morcellement de la propriété et que réclame la culture industrielle, la situation prise dans son ensemble est préférable en

  1. En 1866, la culture du tabac s’étendait sur 3,629 hectares ; elle produisait 8,185,000 kilogrammes de feuilles valant 5,095,000 francs. Par suite de l’annexion à l’Allemagne et de la suppression du monopole, la culture est réduite aujourd’hui à 2,400 hectares.