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passer un fil appelé trame à travers les fils tendus de la chaîne, qui s’entre-croisent en se soulevant alternativement par un mécanisme de pédales. Les couleurs variées des fils de la trame, le nombre et la disposition de ceux de la chaîne constituent le dessin. La variété de produits ainsi obtenus est extrême. Sans parler encore des tissus mélangés de coton, de laine et de soie, les étoffes de coton pur varient à l’infini depuis les fines mousselines pour rideaux jusqu’au linge de table, depuis le simple calicot jusqu’aux magnifiques toiles peintes à dix ou douze couleurs qui ont porté dans le monde entier la réputation de Mulhouse.

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les tissus de coton employés en Europe étaient expédiés de l’Inde soit blancs, soit imprimés, et cette importation parut si menaçante aux fabricans d’étoffes de laine et de soie anglais, qu’ils obtinrent du parlement le vote de plusieurs lois destinées à l’empêcher. Cette interdiction eut un effet contraire à celui qu’on en attendait, car elle stimula le génie inventif des Anglais, qui fabriquèrent bientôt eux-mêmes les étoffes qu’ils ne pouvaient tirer du dehors. On sait à quelle prodigieuse production ils sont arrivés aujourd’hui. C’est en 1762 que Mathias Risler fonda à Mulhouse le premier atelier de tissage, avec un certain nombre de métiers. Le coton employé, originaire du Levant, était filé à la main dans la campagne, et, bien que les tissus obtenus avec ces filés grossiers et inégaux fussent très imparfaits, ils restèrent au-dessous des besoins de la consommation. Aussi le nombre des tissages ne tarda-t-il pas à se multiplier, surtout sous l’influence du régime prohibitif établi sous le premier empire, et qui eut pour effet d’attirer en Alsace des ouvriers suisses. Par l’introduction des filatures mécaniques, les produits s’améliorèrent et bientôt, à côté des tissus communs, on arriva à en fabriquer de qualité supérieure. Aux métiers à la main se substituèrent les métiers mécaniques, qui sont aujourd’hui au nombre de 28,875, occupant 20,000 ouvriers et qui, grâce au procédé Jacquard, fabriquent les étoffes les plus variées et reproduisent les dessins les plus compliqués. Ils ont abaissé les prix dans des proportions considérables ; c’est ainsi que, depuis 1828, le mètre de calicot est tombé de 3 fr. 75 à 40 cent, et qu’il en a été de même de tous les autres tissus. La nature de ceux-ci varie non-seulement par la finesse du fil, mais aussi par l’apprêt qu’on leur fait subir et par le mode de tissage employé.

De ces diverses fabrications la plus importante est celle des toiles peintes, qui a fait la fortune de la ville de Mulhouse. Ces toiles, qu’on tirait autrefois de l’Inde et de la Perse, étaient recouvertes de couleurs appliquées au pinceau et connues sous le nom d’indiennes et de toiles de Perse. Les Hollandais en importèrent la