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quant à présent ; il faudrait commencer par les dégager pour leur rendre une action efficace, et on ne pourrait les dégager qu’en s’arrêtant dans les grandes dépenses. C’est ce qu’on ne veut pas et ce que ne demande même pas M. Ribot.

Autrefois, sous Louis XIV, on n’osait pas parler de la mort devant le grand roi. Un jour, un prédicateur de la cour, s’étant avisé de dire que nous étions tous mortels, vit le mauvais effet que cela produisait sur la figure du souverain ; il se reprit bien vite et ajouta : « presque tous. » Il paraît qu’on est tenu à la même prudence à propos des finances de la république. Serait-ce parce qu’il ne faut pas parler trop haut dans la chambre d’un malade ? Ce qu’il y a de certain pourtant, c’est que, malgré toutes les précautions oratoires, nos finances ne sont pas dans une bonne situation. Un seul chiffre en donnera l’idée. En 1869, dernière année de l’empire, les dépenses se sont élevées à 1,621 millions et, en 1883, elles montent à plus de 3 milliards. C’est une augmentation de 1,300 millions, dont 600, toujours au dire du rapporteur de la commission, sont imputables aux seuls services administratifs ; le reste est absorbé par l’accroissement de la dette publique après nos grands emprunts. Nous ne voulons certes pas dire que, dans un pays riche comme le nôtre, la dépense doive rester stationnaire. Il y a sans cesse des besoins nouveaux à satisfaire. Cependant on pourrait soutenir que la principale de ces dépenses consistant en grands travaux publics, plus une nation est riche et plus l’état peut s’en décharger sur l’initiative privée. C’est généralement ce qui a lieu dans les pays bien ordonnés. La république ne l’entend pas ainsi. La richesse générale doit lui servir pour intervenir davantage. Au moins devrait-on se renfermer dans la limite de la plus-value des impôts : il paraît que ce serait encore trop demander. La république n’admet pas de limites. « Nous avons présenté le budget de 1883, disait M. Allain-Targé, avec le parti-pris de donner à la politique démocratique et progressive des bases solides, » et comme ce budget contenait pour 600 millions de dépenses extraordinaires qui ne pouvaient être couvertes que par l’emprunt, cela voulait dire apparemment que la politique démocratique et progressive consiste à dépenser au-delà même de ce que l’on a. C’est du reste la même idée qu’avait exprimée M. Rouvier avec sa critique sur le budget juste milieu.

Nous croirions faire injure à nos Lecteurs en cherchant à leur montrer que cette politique démocratique et progressive est pleine de dangers ; que l’état, comme les particuliers, ne doit pas dépenser au-delà de ce qu’il a. On ne s’enrichit jamais en s’endettant. Mais c’est un point sur lequel nous aurons occasion de revenir plus tard. Qu’il nous soit permis seulement de constater en ce moment que, dans la discussion générale du budget qui a déjà eu lieu, il n’a pas