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ces 40 millions sur le principal de l’impôt foncier, cela est devenu le mot d’ordre des réclamations qui se produisent dans les comices agricoles et au sein même des conseils-généraux. On a demandé aussi la suppression de l’impôt des prestations. On réclame contre cet impôt à cause du souvenir de l’ancienne corvée, bien qu’il n’y ait pas d’assimilation sérieuse entre les deux choses ; au fond il n’est pas une charge pour l’agriculture, on peut d’ailleurs le convertir en argent pour une somme minime de 4 à 5 francs au plus, et, quand on veut l’acquitter en nature, on le fait au moment le plus favorable de l’année, sans qu’il en résulte aucune souffrance, et on l’applique à l’entretien des routes, c’est-à-dire à ce qui profite le plus à l’agriculture. L’avantage qu’elle en retire compense et bien au-delà le sacrifice qu’elle s’impose. Si on le supprimait, il faudrait bien le remplacer par d’autres taxes qui seraient probablement plus onéreuses. En vérité, quand on voit de pareilles réclamations servir de thème dans les réunions agricoles et être le mot d’ordre des revendications qu’on espère, on est étonné de la facilité avec laquelle les populations se laissent abuser par des mots.

L’agriculture souffre, c’est incontestable et on se demande d’où viendra le remède à ses souffrances, — car il faut bien espérer qu’elles finiront ; il viendra d’abord de récoltes plus favorables, et ensuite d’une meilleure direction donnée à ses travaux, d’un changement dans les cultures, de plus de capitaux mis à sa portée et de quelques modifications dans la législation civile. L’agriculture a surtout besoin du crédit dont jouissent les autres industries et dont elle a été privée jusqu’à ce jour. Si elle arrive à l’obtenir, on la verra utiliser aussi comme les autres industries les découvertes scientifiques ; alors peut-être elle prendra son essor et n’aura plus rien à craindre de la concurrence américaine ou de toute autre ; mais lui promettre, à titre d’encouragement, pour compenser les sacrifices qu’elle supporte, un dégrèvement de 40 millions lorsqu’il y a peut-être entre sa situation actuelle et celle qu’elle devrait avoir pour être prospère une différence annuelle d’un milliard ou deux, ce n’est pas sérieux. Ah ! si on proposait encore une grande diminution dans l’impôt de mutation, cela mériterait examen ; le sacrifice ne serait que momentané, l’état ne tarderait pas à retrouver l’argent qu’il aurait abandonné, par le plus grand nombre des transactions, et ces transactions rendues plus faciles mettraient la propriété territoriale dans les mains de ceux qui pourraient le mieux la faire valoir. En un mot, au lieu d’un impôt très lourd qui immobilise la terre et la tient en dehors du mouvement de la circulation, on aurait un impôt léger, facile à percevoir et avec lequel il y aurait moins de fraude.

Dans un livre que nous avons publié, il y a quelques années, sur