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recettes de 50 millions, soit dans le budget de l’état, soit dans celui de la ville de Paris, on proposait de faire immédiatement des dépenses, non pour les 50 millions seulement, c’eût été trop mesquin et trop bourgeois, mais pour le capital qu’ils représentaient à 5 pour 100, soit pour 1 milliard. On supposait qu’on aurait bien vite et au-delà l’équivalent de ce milliard dans l’augmentation de la richesse et qu’on ne serait pas embarrassé pour en payer l’intérêt. Cette théorie est absolument fausse. Quel est le premier effet de ces emprunts, même consacrés à des travaux d’utilité publique, lorsqu’ils émanent d’un état trop chargé de dettes ? C’est d’élever le taux de l’intérêt, et l’intérêt payé par l’état sert généralement de régulateur dans les transactions privées. Or, aujourd’hui la question du loyer du capital joue un grand rôle dans les frais de production. Les nations sont assez rapprochées les unes des autres, comme habileté de main-d’œuvre et comme organisation industrielle ; une seule chose les sépare encore sensiblement, c’est la puissance et le bon marché des capitaux. Celle qui a l’avantage sous ce rapport distance immédiatement les autres sur les marchés étrangers ; c’est déjà et depuis longtemps le fait des Anglais, ce sera bientôt celui des Américains, et si par l’emploi de ce milliard, ainsi emprunté, on augmente le taux de l’intérêt de 1/2 pour 100, toute la production s’en ressent et on ne tarde pas à perdre plus que le bénéfice qu’on espérait. On avait cru marcher en avant, on reste en arrière. Il y a un proverbe italien qui dit, — et les proverbes sont la sagesse des nations : — Chi va piano va sano e va lontano. Oui, le progrès est illimité, mais à la condition, qu’on ira doucement et qu’à chaque pas fait en avant, on sera sûr de ne pas être exposé à reculer. En voulant aller trop vite, on compromet souvent ce qu’on avait acquis. L’histoire est pleine d’enseignemens de ce genre, et pour rester sur le terrain qui nous occupe, que sont toutes les crises commerciales et financières que nous subissons de temps à autre, sinon des réactions contre des spéculations téméraires et contre de trop grandes avances faites par le crédit ? Pour s’engager sûrement dans la voie du progrès, il faut commencer par la débarrasser des obstacles qui l’entravent ; et un de ces obstacles, le principal en ce moment, c’est l’énormité de la dette. M. Jules Ferry, dans un discours excellent du reste, à la distribution des récompenses de l’Association philotechnique, se félicitait des progrès déjà accomplis au point de vue de l’enseignement et disait que la république pourrait bientôt consacrer 600 ou 700 millions à la diffusion des lumières, soit 350 à 400 de plus par an qu’aujourd’hui. C’est à merveille ! mais où les prendra-t-elle si elle veut en même temps continuer les travaux publics sur la plus grande échelle ? On ne les trouvera pas dans les ressources