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se chiffre en défaites sans nombre. L’église catholique s’oblige à soutenir que ses dogmes ont toujours existé tels qu’elle les enseigne, que Jésus a institué la confession, l’extrême-onction, le mariage, qu’il a enseigné ce qu’ont décidé plus tard les conciles de Nicée et de Trente. Rien de plus inadmissible. Le dogme chrétien s’est fait, comme toute chose, lentement, peu à peu, par une sorte de végétation intime. La théologie, en prétendant le contraire, entasse contre elle des montagnes d’objections, s’oblige à rejeter toute critique. J’engage les personnes qui voudraient se rendre compte de ceci à lire dans une Théologie le traité des sacremens ; elles y verront par quelles suppositions gratuites, dignes des apocryphes, de Marie d’Agreda, ou de Catherine Emmerich, on arrive à prouver que tous les sacremens ont été établis par Jésus-Christ à un moment de sa vie. Les discussions sur la matière et la forme des sacremens prêtent aux mêmes observations. L’obstination à trouver en toute chose la matière et la forme date de l’introduction de l’aristotélisme en théologie au XIIIe siècle. Or on encourait les censures ecclésiastiques si l’on repoussait cette application rétrospective de la philosophie d’Aristote aux créations liturgiques de Jésus.

L’intuition du devenir dans l’histoire comme dans la nature était dès lors l’essence de ma philosophie. Mes doutes ne vinrent pas d’un raisonnement, ils vinrent de dix mille raisonnemens. L’orthodoxie a réponse à tout et n’avoue pas une bataille perdue. Certes, la critique elle-même veut que, dans certains cas, on admette une réponse subtile comme valable. Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. Une réponse subtile peut être vraie. Deux réponses subtiles peuvent même à la rigueur être vraies à la fois. Trois, c’est plus difficile. Quatre, c’est presque impossible. Mais que, pour défendre la même thèse, dix, cent, mille réponses subtiles doivent être admises comme vraies à la fois, c’est la preuve que la thèse n’est pas bonne. Le calcul des probabilités appliqué à toutes ces petites banqueroutes de détail est pour un esprit sans parti-pris d’un effet accablant. Or Descartes m’avait enseigné que la première condition pour trouver la vérité est de n’avoir aucun parti-pris.


III

La lutte théologique prenait pour moi un caractère particulier de précision sur le terrain des textes censés révélés. L’enseignement catholique, se croyant sûr de lui-même, acceptait la bataille sur ce champ, comme sur les autres, avec une parfaite bonne foi. La langue hébraïque était ici l’instrument capital, puisque, des deux