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les obligations de leur état, elles ne sont tenues que de faire la cuisine de leur époux nominal, et c’est ainsi qu’en sa qualité de grand chef blanc, M. de Brazza a eu de l’Atlantique au Congo des cuisinières de tout âge et de tout pagne.

Si, aux yeux du moraliste et de l’humanitaire, ces populations ne sont pas tout ce qu’on pourrait désirer, au point de vue du commerçant elles ont ce grand avantage que l’islamisme n’a point pénétré chez elles. On sait que Mahomet envahit de toutes parts l’Afrique, que d’année en année il y étend ses conquêtes avec une étonnante rapidité. Mais les missions musulmanes réussissent surtout dans l’Afrique sèche, dans l’Afrique sablonneuse, dans l’Afrique du chameau ; elles se hasardent avec moins d’audace, elles ont plus de peine à prendre pied dans les régions boisées et verdoyantes où prospère l’éléphant. Les noirs du Congo n’ont qu’un vague rudiment de religion. Ils croient à la survivance des morts, ils ont le culte des ancêtres et causent quelquefois avec eux. Quand Makoko fait allumer son feu, il ordonne qu’une sonnette soit agitée devant sa case pour réveiller ceux qui ne sont plus et les inviter à venir se chauffer. Ses sujets reconnaissent comme lui quelque chose qui dépasse la nature, des puissances mystérieuses dont il importe de se concilier les bonnes grâces ou de désarmer les méchans caprices par certains sortilèges. Chaque souverain noir a son grand féticheur, chaque noir a son fétiche, et il faut convenir que tel chrétien, catholique ou protestant, a aussi le sien. M. de Brazza nous racontait qu’il demanda un jour à un missionnaire anglais quel Dieu il se proposait de prêcher au Congo. Le missionnaire lui répondit en lui montrant sa Bible : « Mon Dieu est mon livre : My God is my book. »

Sans contredit, un Arabe musulman est dans l’échelle des êtres et des croyances fort au-dessus d’un noir fétichiste. Mais le mahométisme inspire à toutes les populations où il se répand un farouche fanatisme qui en rend l’accès difficile au commerce. C’est pour cela que, du Sénégal au Niger, les Français se voient obligés de ne s’avancer qu’en force, et une colonne expéditionnaire n’y est pas de trop pour assurer le transport d’une tonne de marchandises. Les noirs du Congo n’ont pas d’antipathie violente contre le blanc, à moins qu’ils ne le soupçonnent de vouloir les exploiter ou les dépouiller. Ils se souviennent avec déplaisir de certains procédés de M. Stanley, de l’Ilot que les Oubandjis ont rougi de leur sang. Mais lorsqu’un chef blanc les rassure sur ses desseins, leur donne de sensibles témoignages de son humeur débonnaire, ils se lient facilement avec lui. Dans la région de l’Ogooué, M. de Brazza a trouvé des milliers d’indigènes disposés à concourir à ses entreprises et autant de terrassiers improvisés qu’il en voulait pour construire une route de Franceville à l’Alima. Ces