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IV

Telles furent ces deux années de travail intérieur, que je ne peux comparer qu’à une violente encéphalite, durant laquelle toutes les autres fonctions de : la vie furent suspendues eu moi. Par une petite pédanterie d’hébraïsant, j’appelai cette crise de mon existence Nephtali[1], et je me redisais souvent le dicton hébraïque : « Naphtoulè élohim niphtalti : J’ai lutté des luttes de Dieu. » Mes sentimens intérieurs n’étaient pas changés ; mais, chaque jour, une maille du tissu de ma foi se rompait. L’immense travail auquel je me livrais m’empêchait de tirer les conséquences ; ma conférence d’hébreu m’absorbait ; j’étais comme un homme dont la respiration est suspendue. Mon directeur, à qui je communiquais mes troubles, me disait exactement comme M. Gosselin à Issy : « Tentations contre la foi ! N’y faites pas attention ; allez droit devant vous. » Il me fit lire un jour la lettre que saint François de Sales écrivait à Mme de Chantal : « Ces tentations ne sont que des afflictions comme les autres. Sachez que j’ai vu peu de personnes avoir été avancées sans cette épreuve ; il faut avoir patience. Il ne faut nullement répondre, ni faire semblant d’entendre ce que l’ennemi dit. Qu’il clabaude tant qu’il voudra à la porte, il ne faut pas seulement dire : Qui va là ? »

La pratique des directeurs ecclésiastiques est, en effet, le plus souvent, de conseiller à celui qui avoue des doutes contre la foi de ne pas s’y arrêter. Loin de reculer les engagemens pour ce motif, ils les précipitent, pensant que ces troubles disparaissent quand il n’est plus temps d’y donner suite et que les soucis de la vie active du ministère chassent plus tard ces hésitations spéculatives. Ici, je dois le dire, je trouvai la sagesse de mes pieux directeurs un peu en défaut. Mon directeur de Paris, homme très éclairé cependant, voulait que je prisse résolument le sous-diaconat, le premier des ordres sacrés constituant un lien irrévocable. Je refusai net. Quant aux premiers degrés de la cléricature, je lui avais obéi. C’est lui-même qui me fit remarquer que la formule exacte de l’engagement qu’ils impliquent est contenue dans les paroles du psaume qu’on prononce : Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei. Tu es qui restitues hæreditatem meam mihi. Eh bien ! la main, sur la conscience, cet engagement-là, je n’y ai jamais manqué. Je n’ai jamais eu d’autre intérêt que celui : de la vérité, et j’y ai fait des sacrifices. Une idée élevée m’a toujours soutenu dans la direction de ma vie, si bien même que l’héritage que Dieu devrait me rendre, d’après notre arrangement réciproque, ma foi ! je t’en tiens quitte, Mon lot

  1. Lucta mea, Genèse, XXX, 8.