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me suis trouvé en présence d’une école exagérée, celle des protestans de Tubingue, esprits sans tact littéraire et sans mesure, auxquels, par la faute des catholiques, les études sur Jésus et l’âge apostolique se sont trouvées presque exclusivement abandonnées. Quand la réaction viendra contre cette école, on trouvera peut-être que ma critique, d’origine catholique et successivement émancipée de la tradition, m’a fait bien voir certaines choses et m’a préservé de plus d’une erreur.

Mais c’est surtout par le caractère que je suis resté essentiellement l’élève de mes anciens maîtres. Ma vie, quand je la repasse, n’a été qu’une application de leurs qualités et de leurs défauts. Seulement, ces qualités et ces défauts, transportés dans le monde, ont amené les dissonances les plus originales. Tout est bien qui finit bien, et, le résultat de l’existence ayant été en somme pour moi très agréable, je m’amuse souvent, comme Marc Aurèle sur les bords du Gran, à supputer ce que je dois aux influences diverses qui ont traversé ma vie et en ont fait le tissu. Eh bien ! Saint-Sulpice m’en apparaît toujours comme le facteur principal. Je parle de tout cela fort à mon aise, car j’y ai peu de mérite. J’ai été bien élevé ; voilà tout. Ma douceur, qui vient souvent d’un fonds d’indifférence, — mon indulgence, qui, elle, est très sincère et tient à ce que je vois clairement combien les hommes sont injustes les uns pour les autres, — mes habitudes consciencieuses, qui sont pour moi un plaisir, — la capacité indéfinie que j’ai de m’ennuyer, venant peut-être d’une inoculation d’ennui tellement forte en ma jeunesse, que j’y suis devenu réfractaire pour le reste de ma vie, — tout cela s’explique par le milieu où j’ai vécu et les impressions profondes que j’ai reçues. Depuis ma sortie de Saint-Sulpice, je n’ai fait que baisser, et pourtant, avec le quart des vertus d’un sulpicien, j’ai encore été, je crois, fort au-dessus de la moyenne. Il me plairait d’expliquer par le détail et de montrer comment la gageure paradoxale de garder les vertus cléricales, sans la foi qui leur sert de base et dans un monde pour lequel elles ne sont pas faites, produisit en ce qui me concerne les rencontres les plus divertissantes. J’aimerais à raconter toutes les aventures que mes vertus sulpiciennes m’amenèrent et les tours singuliers qu’elles m’ont joués. Après soixante ans de vie sérieuse, on a le droit de sourire ; et où trouver une source de rire plus abondante, plus à portée, plus inoffensive qu’en soi-même ? Si jamais un auteur comique voulait amuser le public de mes ridicules, je ne lui demanderais qu’une seule chose, c’est de me prendre pour collaborateur ; je lui conterais des choses vingt fois plus amusantes que celles qu’il pourrait inventer. Mais je m’aperçois que je manque outrageusement à la première règle que mes excellens