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Le monde, dont les jugemens sont rarement tout à fait faux, voit une aorte de ridicule à être vertueux quand on n’y est pas obligé par un devoir professionnel. Le prêtre, ayant pour état d’être chaste, comme le soldat d’être brave, est, d’après ces idées, presque le seul qui puisse sans ridicule tenir à des principes sur lesquels la morale et la mode se livrent les plus étranges combats. Il est hors de doute qu’en ce point, comme en beaucoup d’autres, mes principes cléricaux conservés dans le siècle m’ont nui aux yeux du monde. Ils ne m’ont pas nui pour le bonheur. Les femmes ont, en général, compris ce que ma réserve affectueuse renfermait de respect et de sympathie pour elles. En somme, j’ai été aimé des quatre femmes dont il m’importait le plus, d’être aimé, ma mère, ma sœur, ma femme et ma fille. Ma part a été bonne et ne me sera pas enlevée, car je, m’imagine souvent que les jugemens qui seront portés sur chacun de nous dans la vallée de Josaphat ne seront autres que les jugemens des femmes, contresignés par l’Éternel.

Ainsi, tout bien pesé, je n’ai manqué presque en rien âmes promesses de cléricature. Je suis sorti de la spiritualité pour rentrer dans l’idéalité. J’ai observé mes engagemens mieux que beaucoup, de prêtres en apparence très réguliers. En m’obstinant à conserver dans le monde des vertus de désintéressement, de politesse, de modestie qui n’y sont pas applicables, j’ai donné la mesure de ma naïveté. Je n’ai jamais cherché le succès ; je dirai presque qu’il m’ennuie. Le plaisir de vivre et de produire me suffit. Ce qu’il y a d’égoïste dans cette façon de jouir du plaisir d’exister est corrigé par les sacrifices que je crois avoir faits au bien public. J’ai toujours été aux ordres de mon pays ; sur un signe, en 1869, je me mis à sa disposition. Peut-être lui aurais-je rendu quelques services ; il ne l’a pas cru ; je suis en règle. Je n’ai jamais flatté les erreurs de l’opinion ; je n’ai jamais manqué une occasion d’exposer ces erreurs jusqu’à paraître aux superficiels un mauvais patriote. On n’est pas obligé au charlatanisme ni au mensonge pour obtenir un mandat dont la première condition est l’indépendance et la sincérité. Dans les malheurs publics qui pourront venir, j’aurai donc ma conscience tout à fait en repos.

Tout pesé, si j’avais à recommencer ma vie, avec le droit d’y faire des ratures, je n’y changerais rien. Les défauts de ma nature et de mon éducation, par suite d’une sorte de providence bienveillante, ont été atténués et réduits à être de peu de conséquence. Un certain manque de franchise dans le commerce de la vie m’est pardonné par mes amis, qui mettent cela sur le compte de mon éducation cléricale. Je l’avoue, dans la première partie de ma vie, je mentais assez souvent, non par intérêt, mais par bonté, par dédain,