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II

Le premier acte de Léon XIII (on pourrait dire son manifeste d’avènement), a été une encyclique contre le socialisme. « Aux peuples et aux princes ballottés par la tempête il a montré le port de l’église, les suppliant, au nom de leur propre salut, de se persuader que les intérêts de la religion et de l’état sont si étroitement unis que tout affaiblissement de la religion entraîne l’affaiblissement du respect des sujets et de la majesté de l’autorité. » Dans cette encyclique, le saint-père n’avait pas de peine à démontrer la filiation du socialisme et de l’irréligion, car « la notion de Dieu, de l’âme, de la vie future, une fois mise de côté, le désir du bonheur a été renfermé dans l’espace du temps présent ; » les déshérités de ce monde, ayant perdu la foi dans la Jérusalem céleste, ont prétendu la faire descendre des cieux. sur la terre, et réaliser ici-bas, à leur manière, le royaume de Dieu.

Cette encyclique contre le socialisme, alors le principal adversaire du chancelier germanique, était une avance au gouvernement contre lequel le dernier pape-roi avait le plus fulminé d’anathèmes. Pie IX avait laissé le saint-siège en guerre plus ou moins ouverte avec la plupart des états du continent. Léon XIII n’avait rien de plus à cœur que de nouer des négociations avec les adversaires de la curie. S’il n’a pu encore signer aucun traité de paix, s’il a même vu de nouvelles puissances entrer à leur tour en lutte avec la chaire apostolique, ce n’est pas lui qui a rouvert les hostilités, qui a adressé aux neutres un ultimatum ni imaginé des casus belli. Là où il n’a pu conclure la paix, il s’est efforcé d’obtenir une trêve ou d’adoucir les rigueurs de la guerre ; là où il n’a pu éviter un conflit, il n’a rien épargné pour le prévenir ou le retarder.

Il y a, dans les Évangiles, et chez le même évangéliste, deux maximes contraires qui peuvent servir de devises à deux politiques opposées. Dans saint Luc (XI, 23), le Christ dit : « Qui n’est pas avec moi est contre moi ; » dans le même saint Luc (IX, 59) et dans saint Marc (IX, 39) il dit : « Qui n’est pas contre vous est avec vous. » La première de ces paroles eût pu servir de mot d’ordre à Pie IX, la seconde à Léon XIII. Au lieu de déclarer la guerre, il offre à tous la paix. Rejetant le glaive de la parole si hardiment manié durant trente ans par son prédécesseur, il s’est présenté à la société moderne avec une branche d’olivier ou une palme à la main. Il a renoncé à tancer les princes et les gouvernemens dans ses encycliques, ou à les gourmander durement dans ses discours aux pèlerins. Il est descendu du Sinaï de Pie IX et a déposé les foudres de son prédécesseur. Ce n’est pas lui qui traiterait un empereur ou un