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soulevé d’aussi violentes tempêtes, aucun Quos ego ne peut subitement calmer les flots. Aussi, malgré les intentions conciliantes du saint-père et la lassitude du gouvernement allemand, la situation religieuse de l’Allemagne reste-t-elle toujours précaire, à la discrétion d’un ministre prompt à tous les reviremens, à la merci des passions ou des calculs des partis extrêmes.


V

De l’autre côté des Vosges, chez le peuple qui, du VIIe siècle au XIXe, s’était montré le soldat de l’église, chez les vaincus de 1870, Léon XIII, à son avènement, ne rencontrait pas de moindres difficultés que dans le nouvel empire germanique. Si la France et le saint-siège étaient officiellement en paix, si entre eux restait toujours en vigueur le grand traité de 1801, les hommes au pouvoir ne dissimulaient pas leur hostilité contre l’église. Le gouvernement, glissant de main en main, semblait près d’échoir aux partis dont toute la politique se résume dans la haine du catholicisme et qui, pour la république à peine affermie, ne paraissent concevoir d’autre mission que de déraciner le christianisme. Cette campagne de paroles blessantes et de mesures de défiance, tout ce système de taquineries et de vexations contre le clergé, Léon XIII, malgré certains conseils, s’est efforcé d’en adoucir les rigueurs et de l’empêcher de dégénérer en guerre ouverte entre l’état et le saint-siège. C’est peut-être en France, en face des gouvernemens ou des partis qui lui étaient le plus foncièrement hostiles, que Léon XIII s’est montré le plus modéré et le plus prudent. Aux actes les moins amicaux des gouvernans, aux menaces bruyantes, aux injures, aux cris de guerre du radicalisme, Léon XIII, en dehors des solennelles objurgations et des virulentes métaphores qui constituent les lieux-communs des bulles papales, n’a guère répondu que par des prévenances et de bons procédés, évitant de donner aucune prise au mauvais vouloir du gouvernement français, acceptant sans résistance ses choix épiscopaux, et, alors que tant d’ennemis harcelaient chez nous le clergé, maintenant au dehors, en Orient, la vieille solidarité de la France et du saint-siège, nous donnant même, au besoin, à Tunis un concours qui n’est point à dédaigner.

Dans cette politique d’apaisement, Léon XIII s’était associé un nonce fait pour en personnifier l’esprit. Homme d’église, jeté au milieu de politiciens libres penseurs qu’effarouchait le costume ecclésiastique ; homme du monde aux manières élégantes, aux traditions aristocratiques, perdu dans les salons démocratisés de nos ministères ; sans préjugés vis-à-vis des partis comme sans prévention contre les personnes ; unissant à la souplesse slave la finesse