Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partout où l’œuvre exigeait des capitaux et du temps, pour créer sa marine, il n’avait à compter que sur lui-même, et loin qu’il attendit un secours des particuliers, c’est lui qui stimulait leur zèle par ses encouragemens et leur prêtait sa propre force. C’est l’époque où la république faisait porter dans l’arsenal de Venise le chanvre récolté par les sujets, le transformait en cordages et, après avoir prélevé sa part, livrait le reste au commerce. C’est l’époque où Colbert achetait des bois de construction pour les besoins de la marine marchande. Mais, peu à peu, l’esprit d’initiative, fécondé par l’esprit d’association, a créé une industrie dont les ressources sont immenses et qui grandit chaque jour. À mesure qu’elle s’étendait, l’état s’est reposé des efforts qu’il avait jusque-là soutenus pour la suppléer. Non-seulement il ne travaille plus pour les particuliers, mais ce sont les particuliers qui travaillent pour lui, et venant même en partage des attributs les plus importans de la puissance publique, ils élèvent ses forteresses, équipent ses troupes, lui fournissent ses munitions et jusqu’à ses armes. Dans la marine, la qualité des matériaux, que d’immenses réserves permettaient seuls d’obtenir, les secrets du coup de hache qui faisaient de la construction une sorte d’art traditionnel et mystérieux conservé dans les arsenaux, tout ce qui soutenait le monopole a pris fin le jour où à la marine de « bois et de chanvre » a succédé la marine de « charbon et de fer. » De ce jour la construction des navires, dépouillant son caractère spécial, est devenue un travail de métaux et de machines, c’est-à-dire celui où l’industrie avait accompli le plus de progrès. À dater de ce moment, en face des arsenaux où jusque-là s’était concentrée la production du matériel naval, des établissemens ont surgi dont plusieurs aujourd’hui luttent d’importance avec ceux de l’état.

Or, pour créer leur flotte de guerre, les nations maritimes emploient dans des proportions fort inégales le concours qui leur est offert et montrent par leurs actes leur préférence, les unes pour le travail de l’état, les autres pour le travail de l’industrie. Lesquelles servent mieux l’intérêt public ? Pour porter un jugement sur l’organisation, l’outillage, le personnel qui conviennent aux arsenaux militaires, il faut savoir s’ils doivent seuls construire la flotte ou si l’industrie privée doit concourir à l’œuvre et dans quelle mesure, et pour assigner à l’industrie sa part, il faut comparer ses produits à ceux de l’état.

Quand il s’agit de matériel naval, la valeur des travaux se mesure à leur promptitude, à leur perfection et à leur prix. Les constructions de l’industrie coûtent-elles moins ou plus que celles des arsenaux ?

Les élémens d’un prix de revient sont : la main-d’œuvre, la matière et les frais généraux. La modicité des salaires payés par