Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’état travaille-t-il mieux que l’industrie ?

Les mêmes raisons qui expliquent le haut prix de ses produits permettent de croire à leur supériorité. Par cela seul que l’industrie ne travaille pas pour elle et a pour objectif le gain, elle est exposée, si elle n’est pas surveillée, à deux tentations permanentes : employer des matières inférieures et sacrifier tout dans la main-d’œuvre à la rapidité de l’exécution. Le travail à la tâche pousse l’ouvrier à produire beaucoup, mais non à soigner son ouvrage, et l’intéresse même à dissimuler ses malfaçons. Le rôle du chef d’industrie envers sa clientèle n’est pas autre : il faut que, sous peine de perte, il écoule ses produits, même médiocres. Sans doute nombre de maisons ont trop d’honorabilité pour se livrer jamais à une fraude, quoi qu’il leur en coûte. Mais il y a, entre la perfection du produit et la mauvaise qualité, nombre de degrés, et la tendance naturelle du commerce est de se rapprocher davantage de la seconde que de la première.

Autre est la condition de l’état. Il travaille pour lui, il n’a pas pour objectif de produire beaucoup ni sans frais. Son seul but est de faire aussi bien qu’il est possible. Il n’accepte que les matières de choix ; ses ingénieurs, que nulle préoccupation de dépenses n’assiège, sont uniquement soucieux de donner à leurs œuvres la puissance et la durée. Les ouvriers soumis à la surveillance d’un état-major qui, partout ailleurs, serait ruineux, et n’ayant aucun intérêt à faire avec hâte, portent tous leurs efforts sur la perfection du travail, et l’on pourrait ne leur reprocher que le luxe de leurs soins. Ce qu’on vient de dire sur le prix et la valeur des travaux faits par l’industrie suffirait à résoudre la. dernière question. L’industrie travaille plus vite que l’état.

Ceci posé, quelle doit être la part de l’un et de l’autre ?

Il y a des produits dont la qualité peut être assurée ou par des épreuves décisives après leur achèvement, ou par une surveillance attentive durant leur confection. Ces produits doivent être confiés à l’industrie. Certaine que son travail ne peut échapper au contrôle, elle est par son intérêt même exécutrice attentive des conventions faites et l’auxiliaire le plus intelligent de ceux qui s’adressent à elle. En ce cas, l’industrie, supérieure à l’état par la rapidité et l’économie des moyens, devient son égale par la perfection des résultats.

Au contraire, nombre de fabrications se font par des opérations si multiples et si rapides, se poursuivent en tant d’endroits à la fois qu’il est impossible à une surveillance de les suivre, et les épreuves faites au moment de la réception, en portant sur une faible fraction des objets à recevoir, ne permettent pas de prononcer avec certitude sur la totalité. En ce cas, est-ce l’état, est-ce l’industrie qui doit construire ? L’un ou l’autre, suivant l’usage auquel sont destinés les