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que l’océan l’enveloppât de son humide ceinture. Il n’y a cependant que les esquifs de faibles dimensions qui puissent, sans trop d’efforts, remonter la pente d’où on les a fait descendre. Essaierait-on de tirer à terre cette coque plus pesante que tous les obélisques jadis charriés à travers le désert par les sujets dociles des Pharaons ? Le problème, à coup sûr, n’était pas insoluble, et l’antiquité s’entendait mieux que nous à remuer les masses ; néanmoins, il était à craindre que les flancs du navire souffrissent de la traction. Un Phénicien imagina le moyen de mettre la tessaracontère à sec sans qu’il fût besoin de recourir, pour atteindre ce résultat, aux cabestans. Il fit creuser sur le rivage une fosse assez vaste et assez profonde pour que la tessaracontère s’y trouvât aussi à l’aise qu’un enfant dans son berceau. Le fond de la cuvette fut en outre revêtu d’une maçonnerie entièrement composée de pierres de taille, dont l’épaisseur, variant de 2 à 3 mètres, résisterait victorieusement à la poussée des infiltrations. Sur cette maçonnerie on posa un plancher transversal de grosses poutres qui laissaient en dessous un espace vide de 2 mètres environ de hauteur. Quand la fosse fut prête, on y introduisit l’eau de la mer et l’on y amena la tessaracontère ; puis on ferma l’entrée par un barrage et l’on mit en action les machines pour épuiser l’eau. Les Chinois que j’ai vus à l’œuvre en 1849 n’agirent pas autrement quand on les chargea de réparer à Wampoa la coque d’un des plus grands clippers de la maison Russell et C°. Soutenu de chaque côté par les étais qu’on dressait au fur et à mesure le long de ses flancs, le géant du Nil s’assit peu à peu sur le lit de madriers qui l’attendait. Les calfats et les charpentiers commencèrent à l’instant leur besogne. L’espace qui leur avait été ménagé sous la quille leur donnait un facile accès au fond même du navire, et ils n’auraient certes pas travaillé plus à l’aise si la tessaracontère eût été, comme une simple trière, remontée sur la cale de construction qui l’avait vue naître et grandir. Tel est le premier bassin de radoub dont l’histoire fasse mention. Ai-je donc eu si grand tort d’aller chercher les origines de la marine moderne chez les Hellènes et chez les Égyptiens ? La plupart de nos prétendues inventions n’ont été, j’en suis convaincu, que des réminiscences.

Il est bon cependant de se garder d’une foi trop aveugle vis-à-vis de ces textes mutilés, souvent même altérés, qui nous sont venus, après de longues et aventureuses pérégrinations, de Rome et de Byzance. Où l’un lit katholken, la traction en bas, l’autre se croira fondé à lire anholken, — la traction en haut. Pour modifier du tout au tout un chiffre, il suffira qu’une lettre, un imperceptible upsilon, puisse être soupçonnée d’être restée en chemin. Intercidit autem