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qui se passe du secours du vent des leçons que nous demanderions vainement aux vainqueurs de Rio-Janeiro, de Trinquemalé ou de Trafalgar.

Antigone, le père de Démétrius, avait si bien arrondi la satrapie qui lui était échue dans le partage des états d’Alexandre, qu’il était déjà le roi de l’Asie avant que ses soldats eussent songé, dans un jour de triomphe, à lui décerner ce titre. Ses armées étaient nombreuses, aguerries et fidèles ; il ne lui manquait que des vaisseaux. Les flottes, au IVe siècle avant notre ère, se construisaient vite ; elles disparaissaient tout aussi rapidement. Celles qu’avait jadis rassemblées Alexandre n’étaient plus, quelques années à peine après sa mort, que du bois pourri. À la voix du satrape, les cèdres du Liban et les hauts sapins du Taurus ont repris le chemin du rivage ; les charpentiers de Rhodes, de Sidon, de Biblos et de Tripoli se sont remis à l’œuvre, et bientôt les mers de la Cilicie voient se ranger, de la baie d’Issus au Promontoire sacré, deux cent quarante bâtimens à rames auprès desquels les trières d’Athènes n’auraient été que des avisos. On rencontrait dans cette flotte née d’hier des vaisseaux à quatre, à cinq, à neuf et jusqu’à dix rangs de rames, sans compter cent trente navires non pontés. En véritable lieutenant d’Alexandre, Antigone s’était, du premier coup, proposé de faire grand.

La flotte phrygienne fut placée sous les ordres de Démétrius ; Antigone l’envoya porter la liberté aux Athéniens, asservis par Cassandre. La liberté, comme un dieu propice, prit plaisir à enfler ses voiles : en quelques jours, Démétrius, constamment secondé par un vent favorable, eut franchi l’espace qui le séparait de l’Attique. Personne n’avait encore entendu parler de la flotte d’Antigone ; la garnison de Munychie crut voir arriver la flotte de Ptolémée ; le port du Pirée s’ouvrit sans méfiance devant les libérateurs. L’an 306 avant Jésus-Christ, Athènes rejeta une fois de plus loin d’elle la faction oligarchique et, dans l’ivresse de sa reconnaissance, érigea des statues d’or à Antigone et à Démétrius, leur décernant le titre de dieux sauveurs.

Qui possède l’Asie-Mineure ou l’Egypte ne saurait se passer de Chypre : cette île est une annexe que se disputeront éternellement les maîtres de la Syrie et les dominateurs de la vallée du Nil. Démétrius et Ptolémée se rencontrèrent sur la côte orientale de Chypre, en vue de Salamis et non loin des lieux où s’élève aujourd’hui Famagouste. Le frère de Ptolémée, Ménélas, occupait Salamis, ville et port de grande importance. Là régna jadis Évagoras et se réfugia Conon après la défaite d’Ægos-Potamos. Démétrius assiégeait Ménélas : le roi d’Egypte accourut en personne au