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son étendue par de nombreux hauts-fonds. C’était un avantage, quand on voulait rester sur la défensive ; le chenal encombré et sinueux devient au contraire un fâcheux obstacle, le jour où l’on s’apprête à déboucher du golfe pour franchir de vive force les lignes ennemies. Dans une passe dont la partie navigable n’excède pas en largeur un kilomètre, il est à peu près impossible de ranger plus de vingt-cinq ou trente galères de front. Une seule galère, les rames : étendues, n’occupera-t-elle pas un espace de 26 mètres, si l’on veut bien nous concéder que, sous ce rapport, les vaisseaux des anciens n’ont pas dû différer très sensiblement des bâtimens à rames du XVe et du XVIe siècles ? Trois cent cinquante navires ne sortiront pas à la fois du golfe d’Ambracie, à moins qu’ils ne se résignent à se ranger sur douze ou quinze files de profondeur. La phalange sera forte, sera-t-elle manœuvrante ? Antoine n’a que trop prévu ce grave inconvénient. « Méfiez-vous surtout, dit-il au pilote, de la bouche étroite du port. » Il espérait qu’en le voyant lever l’ancre. Octave se déciderait à venir à sa rencontre : il combattrait alors appuyé au rivage, et les deux flottes auraient également à souffrir des hauts-fonds. Voilà pourquoi, après l’appareillage, il s’avance lentement vers la haute mer, si lentement, qu’Octave douta un instant que la flotte ennemie eût en réalité levé l’ancre. Le neveu de César a quitté à son tour le mouillage de la côte d’Épire ; il se gardera bien d’aller se placer sur un terrain où il perdrait la faculté de manœuvrer. N’est-ce pas à l’agilité de ses liburnes qu’il se confie pour racheter l’infériorité de leurs masses ? Il attend Antoine à l’issue de la passe, avec tous ses vaisseaux rangés en bataille, les maintenant à une distance de 1,500 mètres environ de la plage.

C’est presque toujours à midi que s’engagent les grandes batailles navales. C’est à midi que les flottes se sont jointes dans les journées de Lépante et de Trafalgar ; à midi que nous avons attaqué Sébastopol et Kinburn. La matinée se trouve fatalement absorbée par le temps passé à se reconnaître mutuellement, à se rapprocher, à se disposer au combat. Le 2 septembre de l’année 31 avant notre ère, à midi précis, les vaisseaux d’Antoine se trouvèrent massés à l’entrée du golfe et prêts à s’élancer sur la flotte ennemie. Les deux chefs font, en ce moment, accoster le long du bord leurs chaloupes. Jamais général prudent n’a donné le signal de l’attaque sans avoir, quand les circonstances le permettent, passé une dernière fois la revue de ses troupes. Don Juan d’Autriche ne manquera pas plus à ce devoir qu’Antoine et Octave. Les deux généraux romains se sont donc embarqués dans les légers esquifs qu’ils traînent à la remorque. Ils parcourent rapidement la ligne, insistant sur leurs ; derniers ordres, renouvelant leurs exhortations, montrant à tous un front qu’aucun nuage n’assombrit et portant l’assurance de la