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deux littératures classiques ; puis, quand on les a lus et compris, essayer de les imiter, de reproduire non-seulement leurs idées, mais leur langage, voilà désormais la grande affaire des écoles et le premier souci de tous les gens distingués. Le but étant changé, la route ne peut plus être la même. On ne s’était préoccupé jusque-là que de rendre les élèves capables de construire un raisonnement d’après toutes les règles de la logique. « À force de vouloir sacrifier la forme au fond, dit M. Quicherat, on en était venu à bannir de la composition toute figure, toute image, tout ce qui n’est pas rigoureusement démonstratif. Le discours, articulé comme un squelette, n’admettait que propositions, conclusions, corollaires, majeures, mineures ou conséquences ; la pensée n’était tendue qu’à distinguer, à définir, à résoudre. C’était le genre scolastique, genre monotone et stérile, dont la culture exclusive a eu le déplorable effet de dessécher beaucoup de grandes intelligences. » La connaissance de l’antiquité rendit le sentiment et le goût de la forme ; on recommença à en prendre soin et peu à peu l’étude de la logique fut remplacée par celle de la rhétorique. Dès lors toutes les réformes s’enchaînent l’une l’autre. Pour apprendre à écrire, il faut écrire : c’est le principe de Cicéron. Au moyen âge, on se contentait de parler ; avec la renaissance, les compositions écrites détrônèrent les exercices oraux. L’enseignement, dans l’Université de Paris, consistait à lire avec le maître un livre qui faisait autorité[1] et à en tirer des propositions sur lesquelles on instituait ensuite des disputes. L’habitude s’étant établie de lire toujours le même livre, et de procéder de la même manière dans la discussion des principes, le maître qui n’avait rien de nouveau à imaginer se contentait de dicter des cahiers où toutes les discussions étaient indiquées. Les cahiers, comme il arrive toujours, avaient fini par rendre le professeur inutile. Aussi avait-il cessé d’enseigner ; il ne s’occupait plus qu’à présider les exercices solennels pour la collation des grades. Quant à l’enseignement, il ne se faisait guère que par les discussions des condisciples entre eux ou avec des bacheliers plus exercés. La renaissance rendit au maître toute son importance. Pour exprimer l’impression qu’on éprouve en face d’un texte et la faire partager aux élèves, pour interpréter un grand écrivain, pour saisir et expliquer toutes les nuances de sa pensée, il

  1. M Le caractère distinctif de l’enseignement du moyen âge, dit M. Thurot, c’est qu’on n’enseignait pas la science directement et en elle-même, mais seulement par l’explication des livres dont les auteurs faisaient autorité Ce principe était pratiqué dans toutes les facultés, et Roger Bacon l’a formulé ainsi : « Quand on sait le texte, on sait, tout, ce qui concerne la science qui est l’objet du texte. » On ne disait pas au moyen âge faire un cours de morale, mais lire un livre de morale ; au lieu de suivre un cours, on dit toujours entendre un livre.