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le maître seul, comme il arrive trop souvent. » Il veut « qu’on ait la liste des noms de ceux qui assistent et qu’on fasse l’appel à l’ouverture des leçons. « Il faut croire que ces mesures ne furent pas sérieusement appliquées ou qu’elles n’eurent pas le résultat qu’on espérait ; en réalité, on ne parvint jamais à établir à Nîmes une véritable faculté des arts. Ce fut le collège seul qui y réussit. Il est probable que Baduel ne demandait pas davantage.

L’administration de Baduel ne fut pas toujours heureuse. Je me garderai bien de raconter, après M. Gaufrès, tout le détail de ses infortunes, qui probablement intéresseraient peu le lecteur. J’en veux pourtant tirer quelques conclusions qui ne sont pas sans importance. Il ne manque pas de gens chez nous à qui il déplaît fort que l’éducation publique soit dans les mains de l’état et qui envient le sort des pays comme l’Angleterre, où elle est presque entièrement livrée à l’initiative des particuliers ou à la munificence des villes et des corporations. Il est vrai qu’en revanche j’ai souvent entendu des Anglais, parmi les plus éclairés et les plus libéraux, qui blâmaient leur pays de n’avoir pas su créer une éducation nationale, qui trouvaient que l’état ne doit pas se désintéresser de l’enseignement et en laisser la charge à d’autres, qui regrettaient surtout que l’Angleterre n’eût rien qui ressemblât à notre École normale et à nos lycées. Il me semble que ce qui se passa à Nîmes à propos du collège des arts peut nous donner quelques lumières sur cette question délicate. C’était la ville qui avait sollicité et obtenu la création de son université ; ce fut elle qui la dota de ses deniers, et, en échange de ces sacrifices, elle fut chargée de la diriger. Il était bien dit, dans les lettres patentes du roi, que l’université élirait ses officiers, c’est-à-dire qu’elle se gouvernerait elle-même : en réalité, ce fut la ville qui nomma le recteur. Baduel, qui voyait sans doute les inconvéniens de ce régime, fit créer un conseil composé de citoyens lettrés et distingués qu’on appelait gymnasiarques, auxquels se joignaient, suivant les circonstances, les professeurs des diverses classes et qui devait décider de tout ce qui concernait la discipline et les études. Mais ni les gymnasiarques, ni les consuls, ni les magistrats, ni personne, ne parvinrent à (aire régner la bonne harmonie dans le collège. Pour recruter le corps enseignant, on était souvent fort embarrassé. Il fallait prendre les professeurs au hasard ou les essayer dans quelque épreuve imparfaite[1]. Quelquefois les choix se trouvaient

  1. L’usage s’était conservé, pour éprouver les professeurs avant de les employer, de les faire disputer entre eux. Baduel y trouve de grands inconvéniens. Il voudrait remplacer la dispute, reste des anciennes habitudes de la scolastique, par une éprouve plus sérieuse et qui ressemble assez à notre agrégation. « Il y a, dit-il, un bien meilleur moyen de connaître leur savoir, c’est de leur faire lire et expliquer un morceau de quelque auteur, de leur donner à écrire une composition en vers ou en prose. Si les magistrats employaient ce moyen et proposaient aux professeurs des sujets qui ne demandent pas de préparation spéciale, ils feraient plus pour la bonne éducation de la jeunesse qu’en écoutant je ne sais quels argumens cornus, lentement fabriqués et compilés, défendus avec acharnement et étrangers à l’enseignement des classes. »