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des deux littératures classiques étaient devenus le sujet ordinaire des études. C’était assurément un grand progrès ; c’était un danger aussi et, vers la fin du XVIe siècle, on pouvait prévoir qu’il en sortirait quelques conséquences fâcheuses. Les exercices de l’ancienne faculté des arts pouvaient sembler fastidieux, mais ils préparaient directement à ceux des facultés supérieures. D’après les idées du moyen âge, pour devenir théologien, jurisconsulte et même médecin, il fallait avant tout savoir disputer ; la logique était indispensable à tous ceux qui voulaient pousser plus loin leurs études, et c’est pour l’apprendre qu’ils venaient s’entasser sur la paille de la rue du Fouarre. Avec l’importance de la dispute, l’utilité de la faculté des arts diminua. On pouvait dire sans doute que cette haute éducation littéraire par laquelle elle avait remplacé la logique et la dialectique élève les esprits, les fortifie, les rend plus propres à suivre les travaux des autres facultés. Par malheur, cet avantage est de ceux qui ne frappent pas les yeux du vulgaire ; tout le monde n’est pas capable de l’apprécier ; les divers degrés dans la culture de l’esprit sont difficiles à noter d’une manière sensible. Un père économe, un écolier pressé qui ne voulait plus se donner la peine de fréquenter la faculté des arts ou qui souhaitait y séjourner le moins possible, pouvaient dire que c’était un enseignement de luxe, qui ne menait à aucune profession spéciale, et qu’à la rigueur on pouvait s’en passer ou, du moins, en restreindre la durée. Il devenait donc tous les jours plus difficile d’y retenir les élèves et de les forcer de travailler[1].

À la vérité, on comptait pour prévenir ce danger sur l’attrait des études nouvelles ; on avait confiance aussi dans le talent des professeurs. La renaissance, nous l’avons vu, rendit plus important le rôle du maître, et, parmi les maîtres, il n’y en avait pas de plus habile et de plus célèbre que Muret. Il avait cette supériorité sur

  1. Il est vrai que les grades restaient ; et l’on pouvait croire que la nécessité de devenir bacheliers et licencies retiendrait les élèves dans la faculté des arts et les forcerait à travailler. C’était une illusion dont on n’a pas cessé d’être dupe de nos jours. Les examens ne maintiennent pas les études ; au contraire, c’est la force des études qui fait celle des examens. D’ailleurs les grades, dans l’ancienne université, n’avaient aucune importance réelle, et les examens étaient devenus depuis longtemps une pure formalité. « Tout le monde est reçu, disait un recteur, au commencement du XVIe siècle, même ceux qui savent à peine lire. » Et, de fait, M. Thurot, en étudiant les registres de la faculté de médecine, a constaté que pendant un siècle (de 1395 à 1500 pas un seul des candidats n’a été refusé. Cette facilité durait encore au XVIIe siècle. Un recteur qui se plaignait de l’avilissement des grades prétendait qu’il suffisait aux candidats « d’aller dans quelque université peu fameuse en France, où, dès le jour même de leur arrivée, et, s’ils le veulent, sans sortir de l’hôtellerie, ils obtiennent des lettres de licenciés et de docteurs en médecine. Il y va, ajoutait-il, de la santé et de la vie des bommes de remédier à cet abus. » Ce n’était donc pas la crainte des examens qui pouvait faire le salut des facultés.