Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revenir le lendemain, on la leur fermerait sur le nez. » Enfin, las de lutter contre « ces drôles abjects, » comme il les appelle, il écrivit au cardinal Sirleto pour demander sa retraite. « J’ai supporté, lui disait-il, d’infinies indignités de la part des écoliers, lesquels, quand je me suis bien fatigué à dire quelque chose de bon, par des cris, des sifflets, du bruit, des injures et d’autres malhonnêtetés, me troublent tellement que parfois j’en perds l’esprit. Les murs des écoles sont d’ordinaire couverts de mots et de peintures abominables, au point que beaucoup de prélats, de religieux et d’autres personnes honnêtes, qui viennent pour m’entendre, frémissent rien qu’à les regarder, croyant, et avec raison, entrer, non dans une école, mais dans le plus infâme et déshonnête de ces lieux qu’on ne peut convenablement nommer : Bien des fois, voulant blâmer ces turpitudes, j’ai été bravé, menacé ; ils ont été jusqu’à dire publiquement que, si je ne me taisais, ils me balafreraient le visage. Cette année même, outre que j’ai été souvent forcé de m’en retourner sans pouvoir faire ma leçon, un samedi, qui fut le 10 décembre, on me lança avec la plus grande violence une orange qui faillit m’enlever un œil ; par suite de quoi, je me retirai sans rien dire et craignant pis, au grand scandale de plusieurs prélats qui se trouvaient présens. Désormais les chaires de professeurs sont devenues pires que des piloris, si grande est l’insolence de la jeunesse ! » Voilà ce qui se passait dans l’université de Rome, et de quelle manière les élèves traitaient le professeur le plus illustre de son temps, à la fin du XVIe siècle.

Au même moment, les jésuites achevaient de rédiger leur Ratio studiorum et commençaient d’ouvrir leurs écoles. Pour réussir, ils n’avaient qu’à éviter les fautes qu’ils voyaient commettre autour d’eux. À la turbulence des universités ils opposent la discipline de leurs maisons. Comme ils voient que les facultés des arts sont en pleine décomposition, ils essaient de sauver au moins ce qu’elles ont de meilleur et de plus précieux : ils introduisent définitivement la rhétorique et la philosophie dans leurs collèges, qui comprennent désormais un cours complet d’éducation. Aux quatre classes de grammaire et d’humanités ils ajoutent trois ou quatre ans de hautes études, et « l’honnête homme » sort achevé de leurs mains. C’est encore à peu près le régime de nos lycées. Le trait saillant de ce régime, c’est que l’enseignement secondaire y absorbe l’enseignement supérieur et le rend presque inutile : il a des mérites et des inconvéniens qu’il serait trop long de discuter ici ; il suffit que, grâce à M. Gaufrès et à M. Dejob, nous ayons pu voir à quel moment il s’est établi et quelles en sont les origines.


GASTON BOISSIER.