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émanés de la chancellerie du jeune roi à la date de la défaite essuyée par les Anglais devant le Mont-Saint-Michel. Toutefois, nous serions surpris si l’on ne retrouvait pas un jour quelque document constatant que l’on prit alors des mesures immédiates pour faire parvenir cette nouvelle à tous les défenseurs de la cause nationale.

Au premier rang de ces défenseurs se trouvaient les habitans de la châtellenie de Vaucouleurs. Comment ces derniers ne se seraient-ils pas intéressés avec une vivacité particulière au sort des Français du Mont-Saint-Michel ? Ils combattaient pour la même cause dans des conditions presque identiques. Sur la frontière orientale du royaume, l’étroite langue de terre que protégeait l’épée de Hubert de Baudricourt formait le pendant exact du rocher, limite extrême de la France au couchant, dont Louis d’Estouteville et ses compagnons d’armes s’étaient constitués les gardiens. Les deux forteresses, cernées l’une et l’autre de tous côtés par l’ennemi ou par les alliés de l’ennemi, étaient les derniers boulevards de la défense du territoire au nord de la Loire ; aussi peut-on dire, en pensant à tant d’analogies matérielles et morales, qu’elles se tendaient en quelque sorte la main à travers toute la largeur de la France anglaise qui les séparait.

Comme une flamme qui brûle d’autant plus que le foyer où on la comprime est plus resserré, le patriotisme acquiert dans ces petits refuges et au milieu de ces crises une intensité inutile. Pour se faire une idée juste de la manière dont on vivait alors dans la châtellenie de Vaucouleurs et au Mont-Saint-Michel, il faut se représenter ce qui se passe d’ordinaire au sein des associations religieuses ou politiques en butte à la persécution. Dans ces conditions, la communauté des épreuves supprime toutes les distances, rapproche tous les âges, confond tous les rangs. L’amour, la haine, la crainte, l’espérance, la foi religieuse, la curiosité, tous les sentimens du cœur humain atteignent leur plus haut degré d’énergie. La peur du danger que l’on redoute, le désir de la bonne nouvelle que l’on attend tiennent l’attention sans cesse en éveil et font prêter l’oreille aux moindres bruits du dehors. On vit de la même vie fiévreuse, haletante, et la passion de chacun s’accroît encore de l’exaltation de tous.

Si quelqu’un pouvait douter de la sûreté et de la promptitude avec laquelle toutes les nouvelles, même les plus secrètes, qui pouvaient intéresser les partisans de Charles VII, étaient alors connues dans la Châtellenie de Vaucouleurs. qu’il lise la déposition de Jean de Metz, dit de Nouillompont, dans l’enquête faite sur Jeanne d’Arc en 1456. D’après cette déposition, si importante à tous les points de vue, dont la haute autorité ne saurait être contestée puisque le