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l’une ou l’autre de ces propositions, qui semblent s’exclure, ne traduit pourtant qu’une part de la vérité, et si le charbon de pierre résulte réellement de végétaux accumulés et stratifiés, il n’est cependant devenu ce qu’il est qu’à la suite d’une opération chimique qui lui a communiqué, en le transformant, les propriétés d’une substance inorganique spéciale ; en un mot, le charbon de pierre est un fossile véritable, non pas au sens qu’avait ce terme pour les naturalistes du siècle dernier, celui de pierre ou corps minéral enfoui, mais avec la signification moderne de la dépouille d’un organisme « minéralisé » et plus ou moins converti eu un corps inerte destiné à ne plus éprouver de changement.

Jussieu, à une époque où l’on invoquait encore les forces aveugles et les jeux de la nature pour avoir la clé de ce qui semblait incompréhensible, dénonça l’origine végétale du charbon de pierre, mais l’opinion contraire ne fut pas renversée pour cela. De nos jours encore, elle a tenté certains esprits, qui ont voulu expliquer la formation de la bouille par des précipitations de l’atmosphère se dépouillant du carbone qu’elle aurait originairement contenu. Une pareille hypothèse n’a rencontré de défenseurs que parmi ceux qu’attire le paradoxe et qui mettent à fuir la vérité autant d’acharnement que d’autres à la poursuivre.

Le père de la botanique française[1] visita, en revenant d’Espagne, les environs de Saint-Chaumont ; il recueillit, le long de la petite rivière de Giès, une infinité d’empreintes végétales des plus variées et différentes de toutes les plantes que l’on rencontre en France. Il lui semblait, dit-il lui-même fort élégamment, herboriser dans un monde nouveau. Il remarqua, non-seulement que ces empreintes se rapportaient bien à des plantes véritables et que les plaques dont elles parsemaient la surface étaient d’autant plus noires et bitumineuses qu’elles étaient plus voisines du lit de charbon, mais encore en séparant ces feuillets schisteux empruntés « à la plus ancienne bibliothèque du monde, » il comprit fort bien que ces plantes n’existaient plus, ou bien, ajoutait-il, qu’elles n’existaient que dans des pays si éloignés que, sans la découverte de ces empreintes, on ne saurait en avoir la connaissance. — Quelle justesse de pensée à une époque où la botanique était dans l’enfance et le sol terrestre à peine exploré ! On ne pouvait savoir effectivement si ces espèces appartenaient réellement au passé ou bien si l’on avait des chances de les retrouver vivantes quelque part, soit en Amérique,

  1. Antoine de Jussieu, né à Lyon en 1686, mort en 1758 ; il était frère aîné de Bernard de Jussieu, devenu plus célèbre que lui, et oncle d’Antoine-Laurent, mort à Paris en 1836, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Le fils de celui-ci, Adrien de Jussieu, professeur de botanique au Museum comme son frère, a été le dernier représentant de cette dynastie de savans, dont la France a le droit de se glorifier.